jeudi 23 avril 2009
Nicolas Tourre
Pour les artistes voulant s’emparer aujourd’hui de l’abstraction, il est inévitable de s’interroger attentivement sur l’opération qu’ils déclenchent vis-à-vis des positionnements engagés dans cette voie par le passé. Coincée entre la citation-hommage et le détournement ironique (qui constate son assimilation par le design), l’abstraction semble n’en pas finir de faire son deuil. Cependant, à l’image du travail d'artistes comme Dan Walsh ou Wade Guyton, l’abstraction entretient des potentialités qui ne forcent pas à tenir des proclamations sur la fin des aspirations modernistes, ou à transformer les expériences passées en simple répertoire de formes à emprunter. Si l’opération reste délicate, il est tout aussi inopérant de limiter la réactivation des formes abstraites au commentaire sur l’échec d’artistes investis dans le récit d’un «progrès».
L'intérêt de Nicolas Tourre pour l’abstraction, concerne d’abord l’envie de se concentrer sur les propriétés de la peinture, sans pourtant adhérer à l’étanchéité du formalisme. Ses réponses s’éloignent à la fois de l’ironie post-moderne des années 80 - celle de John Armleder ou Bertrand Lavier -, et de l’anti-modernisme des néo-expressionistes de la même période. Sa façon d'exprimer et expérimenter un rapport au monde peut autant passer par des actes brutaux infligés aux tableaux (en tirant des coups de fusil), que par leur travestissement dilettante (affublé de pierres précieuses ou de plumes). Il semble emprunter une voie trouble entre le détachement dandy et le romantisme pré-moderne. Loin d’un effet nostalgique, il transfère l’actuelle indétermination de genre dans le champ de la peinture, empruntant des modalités presque camp.
Cherchant à sortir de la planéité du cadre du tableau, tout comme en refusant son assimilation à l’image, il expérimente formats et textures selon un principe de jeu qui corrompt toute règle de composition, ou assume leur permanence comme un artifice à réinvestir. Ce désir d'échapper au médium passe aussi par le choix de certains objets-matériaux (pâte à modeler, raquette de beach ball) qu'il qualifie lui-même de « grotesques », ainsi que par un intérêt vis-à-vis de pratiques amateur d'arts décoratifs.
Certains éléments empruntés à l'abstraction géométrique se trouvent ainsi mélangés à l'exercice répandu des jeux d'optique, parfois perturbés par l'irruption de certains accessoires associés aux loisirs. Des raquettes de ping-pong ou des balles de plage, mais aussi le motif des papillons, des méduses, des vagues ou d’un coucher de soleil, semblent alors refuser une certaine doxa puritaine de la peinture - celle qui cherchait absolument à légitimer la pratique artistique comme un « travail » - pour emprunter des routes secondaires, débordantes et improductives comme les vacances.
Pedro Morais, mars 2009
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