lundi 20 avril 2009
Clément Laigle
«Il n’est pas possible d’échapper à l’architecture, de la même façon qu’il n’est pas possible d’échapper au langage» - ce constat de Clément Laigle est le point de départ d’une démarche qui cherchera alors à produire des «aberrations de l’espace», recomposant ses volumes, jouant de l’adaptation ou niant son organisation. Difficile ici de distinguer les frontières entre la sculpture et l’installation, tant les architectures qu’il construit (en déconstruisant celles où il intervient) sont des mises en forme indissociables des espaces qu’il investit. En obstruant partiellement des passages, ou en modifiant sensiblement les systèmes d’éclairage, il cherche à déjouer le conditionnement sous-jacent à l’imbrication des limites d’un lieu avec sa perception inconsciente.
Dans une série d’œuvres in situ, il trouble la position du regard, le plaçant à l’extérieur de l’œuvre quand on croit pourtant y avoir accès. Cela peut signifier l’installation d’un pan de tôle en acier obstruant des fenêtres, sorte de palissade paradoxalement tournée vers l’intérieur (Lewis, 2008), ou l’impression que des cloisons cachent la lumière extérieure, équipées de néons auquel on n’a accès que par réfraction (Sans titre, Kreuzberg, 2007). Où se situe alors l’envers et l’endroit du décor ? L’architecture n’est plus l’enveloppe de l’exposition mais son matériau même, prolongée par l’utilisation dans ses œuvres de matériaux industriels liés à la construction ou à l’aménagement d’intérieur (panneaux d’aggloméré, cloisons, néons) et laissant à vue l’artifice de l’intervention (des trous permettant le passage des fils électriques).
La transition entre le jour et la nuit, ce moment qui nous fait hésiter entre la lumière naturelle et la lumière artificielle, est rendu encore plus indiscernable dans une installation où deux panneaux éclairés par des néons sont placés autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la galerie, amplifiant le caractère indistinct de leur fonction au moment de l’aube ou du crépuscule (Sans titre, Rodney Mullen, 2006). Dans un mouvement parallèle, la photo d’une énorme palissade installée contre la façade d’un immeuble avec, entre les deux, un système d’éclairage de néons, semble vouloir faire disparaître la nuit à l’intérieur du bâtiment (Kasimir, 2007).
Cette réversibilité est aussi explorée lors d’une intervention dans un préau où l’artiste construit des couloirs avec des panneaux en bois éclairés en permanence par des néons (Vince, 2008). Il n’est alors pas étonnant que Clément Laigle cherche à renverser de façon ironique le principe du land art : invité à participer à une manifestation en plein air, il s’emploie à construire des abris pour les œuvres déjà installées, signifiant la contradiction entre leur caractère entropique et l’hypothèse de leur conservation (Das Aldernest, 2008).
Il poursuit la création d’espaces qui déstabilisent le dehors et le dedans, utilisant des palissades de séparation de jardins pour comprimer les dimensions d’une cour extérieure (Neuwall, 2006). Son œuvre se place à l’endroit même d’une relation à l’espace, rendant équivoque notre position (entre acteur, spectateur et figurant), qu’il s’agit toutefois d’habiter. Dans une autre installation, ce qui apparaît comme une accueillante clairière chauffée au feu de bois (des spots halogènes), se renferme aussitôt par une tôle ondulée circulaire, évoquant son titre Between the furniture and the building (2008), expression qui désigne une position intolérable à laquelle il est impossible d’échapper.
C’est ainsi que ce corps refoulé par l’architecture surgit, de façon à la fois insinuée et radicalement exposée, dans une série d’images extraites de revues porno recouvertes de formes géométriques inspirées des colombages architecturaux.
Pedro Morais, mars 2009
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