dimanche 19 avril 2009
Julien Pastor
Le logement social a parfois été un terrain formidable d’expérimentation sur les possibilités d’habiter ensemble, interrogeant les notions de propriété et de commun. Cependant, ces constructions ont pu aussi participer à la production de cauchemars panoptiques, en découplant les modalités d’exclusion et en dévitalisant les hypothèses de participation et d'appropriation de l’espace publique. Plutôt que de se réfugier dans un constat écrasant qui dicterait la fin de certaines expériences dites utopiques, Julien Pastor s’est intéressé de près au travail de Renée Gailhoustet et Jean Renaudie, responsables de la rénovation du centre d’Ivry-sur-Seine pendant les années 70. Ce couple d’architectes a mené une critique féroce de la modernité architecturale, s’opposant aux méthodes de construction des premières villes nouvelles des années 1950-1960. S’ils critiquaient leur principe de séparation rationnelle des fonctions, ils n’ont pas pour autant rejeté leur projet d’émancipation, excluant l'idée de revenir à la ville traditionnelle. Prônant des principes d'imbrication et de prolifération, ils ont diversifié en permanence leurs approches, refusant obstinément de systématiser leur architecture. Julien Pastor contextualise cette démarche par le biais d’un texte, «Architecture continue» (édition du Crédac d’Ivry-sur-Seine), où il remonte à la création des banlieues au XIXème siècle pour décrire l’histoire des rapports entre constructions périurbaines et jardins publics du XIXème siècle.
Dans l’espace d’exposition, il a réactivé le kiosque construit en 1968 à Ivry par Renée Gailhoustet, dont la forme géométrique complexe semble contrarier les lignes rectilignes de l'immeuble en face (1). Pastor transforme toutefois le kiosque en tente individuelle de camping, l'associant au principe d'une architecture éphémère liée au nomadisme et au plein air. Le titre de l’œuvre (L'Ivryenne, 2007) et l’appropriation du format commémoratif de la carte postale (pour perpétuer la mémoire de cette construction tenue pour anodine), signalent l’humour mélancolique qui traverse sa démarche.
Dans une série de collages (Des grands ensembles, 2008), le caractère abstrait de rectangles et carrés découpés en papier noir, s’avère finalement très concret : il s’agit des « plans masses » qui figurent les bases d'implantation d'unités d’habitation construites en France pendant les Trente Glorieuses. Leur organisation rationnelle est toutefois entièrement bouleversée, rappelant un jeu mikado : l’artiste a mis chaque groupe de bâtiments en papier dans une boîte, les mélangeant avant de les faire tomber sur une feuille, introduisant le hasard autant dans l’organisation de l’espace urbain que dans son œuvre.
Cette façon de jouer sur un mode mineur, de déconstruire le « geste » artistique, se retrouve aussi dans Tree diagram (2005), où il découpe de façon rectangulaire toutes les feuilles d’un arbre, introduisant la géométrie dans une « sculpture » organique. En diffusant une sélection musicale de death et black métal, pendant dix jours, auprès d'une plante d’intérieur, il essaye de lui réveiller une sensation de révolte en jouant avec nos croyances animistes (Une plante est une plante, 2005). Dans la performance L'élixir d'amour ou Le spectateur (2008), il se met lui-même à l’épreuve, applaudissant pendant plus d’une heure: il s'agit du reenactment d’une ovation historique faite à Luciano Pavarotti (à la suite de sa prestation dans L’élixir d’amour de Donizetti en 1988), malgré qu'ici puisse manquer autant la cause que le dispositif du spectacle qui légitime ses propres codes.
Un évidemment du signe qu’il applique aussi à la peinture : en effectuant un travail de copiste de certains posters vendus à la sauvette dans les couloirs du métro (Bob Marley, Bruce Lee ou des dauphins), il signale le devenir générique d'images qui naviguent entre l’industrie multinationale de la contre-culture et des mythologies traditionnelles locales. Pedro Morais, mars 2009
(1) Le principe du kiosque actualise une figure classique des architectes paysagistes des Lumières, influencés par les constructions orientales du XVIème siècle.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire