mardi 18 mars 2008

Rewind 2004: expositions à Marseille

En 2004, j'étais responsable de la section "expositions" du journal Ventilo, où j'ai accompagnée l'actualité de Marseille à travers des textes courts. C'était une année dominée par la programmation artistique du FRAC PACA dirigé par Eric Mangion: il reste un fort souvenir de la voiture brûlée de Pierre Ardouvin tournant en rond dans la salle des colonnes de la Friche, du vidéoclub Cosmos de Boris Achour, des premières rencontres Traits Libres organisées à Montévidéo autour d'Olivier Cadiot (avec Michel Gauthier, Marc Alizart, François Cusset ou Patricia Falguières), de la performance d'Eric Duykaerts, et surtout de l'exposition d'été de Björn Dahlem. Au même moment, Nathalie Ergino au MAC organisait une exposition marquante de Carsten Höller (avec Gilles Mahé en parallèle), moment fort mais aussi le seul de l'année pour le MAC, pour qui les prolongements des expos ad eternum annonçaient déjà la suite (la démission posée par sa directrice à la Ville en 2005). Eric Troncy était invité par le galeriste Roger Pailhas à faire le "commissariat" de la foire Art Dealers, l'une des éditions plus remarquées de toujours, et le seul moment d'éclat de l'année pour cette galerie.
L'autre exposition très remarquée en 2004 c'était le rassemblement de l'ensemble des Light Machines de Xavier Veilhan à la Foundation Vasarely à Aix (jusqu'alors une "belle endormie"), organisé par Xavier Douroux (Consortium) et le FRAC PACA. C'est aussi la première année où les institutions se coordonnent pour un grand raout d'été avec la Friche, où avait lieu l'ambitieuse exposition d'Alexandre Périgot organisée par Sextant et Plus. Aux Ateliers d'Artistes, dirigées à l'époque par Thierry Ollat, était alors présentée un dispositif inhabituel d'Olivier Millagou (en lien avec Art Dealers). Concernant les projets émergents, il faut signaler la première initiative à Marseille de Buy-Sellf aux Ateliers d'Artistes (avant l'ouverture de la galerie), mais aussi la première exposition d'un collectif d'artistes très dynamique, sortis récemment l'école des Beaux-Arts, réunissant Mathieu K. Abonnenc, Marion Mahu ou Colin Champsaur dans un atelier à Belsunce. C'est aussi l'année de la première exposition à Marseille de Bettina Samson, en résidence à Astérides, mais aussi de celle de Véronique Rizzo au 3bisF à Aix ou, enfin, de Clarisse Hahn à SMP, Thierry Kuntzel à la Compagnie et Zineb Sedira à la galerie Où (invitée par Jean-Pierre Rehm). Parmi les moments les plus singuliers, et qui affirment une ouverture vers deux des centres artistiques européens, il y a Mind The Gap (autour de la jeune scène londonienne) organisé par Triangle à la Friche et surtout, L'Attitude des Autres à la galerie SMP avec des artistes berlinois. Passée presque inaperçue, elle réunissait un choix exemplaire d'artistes qui ont été ensuite reconnus (Tue Greenfort, Oliver Croy ou Sofia Hulten).

Pierre Ardouvin (FRAC PACA expose à Red District et Triangle)
Une voiture tourne en rond sur fond de musique distordue et de lumières tournoyantes, transformant l’espace de la Friche en un lieu à mi-chemin du parking et du stand de salon automobile. En s’approchant, le premier impact sensoriel se transforme au fur et à mesure en cauchemar. Dans la carcasse d’une voiture brûlée continue de résonner une chanson à l’envers: Holidays (de Michel Polnareff), titre de la pièce de Pierre Ardouvin exposée chez Triangle. Comme par le souvenir d’un moment de détente qui finit brutalement, on est secoués par cette proximité avec l’effroi. Dans un temps d’hystérie sécuritaire et anti-terroriste, quelque chose fait ici écho à une peur enfouie dans notre inconscient. Une ambivalence s’installe pourtant : l’angoisse d’un fantasme d’explosion n’empêche pas une certaine attirance envers la destruction. L’envie de regarder les traces d’un désastre n’est peut-être que le besoin d’expérimenter une pulsion vitale. Pierre Ardouvin travaille avec des éléments du quotidien pour mieux s’immiscer dans l’espace commun, partagé, de la mémoire. Dans Le bal des nazes, son autre installation exposée à Red District, on entre aussi par l’évocation sonore, d’un bal musette cette fois, attaqué par des larsens. Une salle des fêtes au plafond surbaissé, encombrée par des étais métalliques de chantier, ne donne pas nécessairement envie de danser. N’y aurait-il pas de possibilité d’être ensemble dans un espace commun ? Le constat de l’artiste est sans illusion : derrière des faux-semblants de complicité, on trouve l’échec collectif des tentatives de mouvement et de dynamique. La musette peut continuer sa ritournelle en toile de fond, on ne peut plus se cacher un certain enfermement né de la méfiance(1). Un constat politique, peut-être, mais d’un monde auquel on participe, plongés dans une atmosphère sensorielle qui brouille nos repères et nos codes d’interprétation. Pierre Ardouvin fait partie des artistes représentés par Chez Valentin, une des plus audacieuses galeries de Paris, et a exposé au Palais de Tokyo l’année dernière. Sa collaboration avec le FRAC réussit à créer de véritables mises en scènes qui transforment complètement l’espace d’exposition. En isolant les deux pièces, il parvient brillamment à contourner l’écueil des superpositions forcées des accrochages collectifs. L’année s’annonce bien.
Holidays
à la Friche la belle de Mai. Le bal des nazes à Red District.
(1) Cette impression d’exiguïté et d’impossible mobilité est également présente dans son installation Love me tender— une auto-tamponneuse se cognant frénétiquement aux limites de son mètre carré— qu’on peut voir dans le cadre de l’exposition Mouvements de fonds à la Vieille Charité

Bernard Bazile, Claude Closky, Wang Du, Atelier Van Lieshout (galerie Roger Pailhas)
Le lien entre l’art et le politique est aujourd’hui repensé par des nouveaux dispositifs, présentés à la galerie Roger Pailhas. Les artistes de cette quadruple exposition adoptent des stratégies insidieuses et désamorcent nos attentes d’une pensée convenue avec une certaine ambiguïté. Ils agissent comme les hackers informatiques, en se saisissant des outils fournis par le système, y compris son langage (la pub, la télé) pour mieux y opérer, comme un virus, pliant les codes pour créer de la distance et produire des espaces de respiration critique. Ainsi de la vidéo Les Chefs d’Etat de Bernard Bazile — déjà présentée il y a dix ans au Centre Pompidou avec polémique— où dans un jeu d’associations entre quatre écrans, il fait usage du zapping (version machine à sous) pour détourner les images de différents dirigeants politiques dans une mise en scène de leur quotidien (bains de mer, amour des enfants et des animaux, pause sportive, séjour à la campagne mais aussi acclamation publique, coup de fil décisif et inauguration de travaux publics). Tout simplement —et la provocation est là — les leaders ne se distinguent pas forcément dans leur envie de produire de la fascination et de donner une image publique rassurante. On retrouve des analogies aussi ludiques qu’inquiétantes entre Saddam Hussein, Roosevelt, Hitler, Giscard d’Estaing, Castro, Clinton, Gandhi ou Staline. Bazile poursuit là son travail de mise en question du statut de l’auteur en détournant les images d’archives, désacralisant la puissance de ce qui est représenté avec une ironie féroce et subtile à la fois. Wang Du, artiste chinois exilé à Paris qui atteint cette année une reconnaissance majeure (il exposera à l’automne au Palais de Tokyo), s’en prend lui aussi à l’hégémonie des médias («Ils sont devenus la réalité et construisent aujourd’hui notre paysage»), extrayant des images du flux médiatique pour les transformer en sculptures. Au centre de la galerie deux «tapis volants» reproduisent une publicité pour une revue de psychologie de troisième zone (pour Occidentaux en mal de spiritualité) et une couverture de la revue Time avec l’explosion en plein vol de la navette spatiale Colombia (la compétition géopolitique pour coloniser l’espace et obtenir des nouvelles sources d’énergie), croisant avec humour conte de fées, fiction scientifique et conquête de l’espace. Claude Closky présente quant à lui une nouvelle vidéo dans la continuité de son travail sur les mécanismes de la consommation où, par un léger décalage des signes du langage, il active sur deux écrans clignotants une ritournelle de slogans publicitaires et leur implacable tactique de séduction. Trois démarches singulières appliquées à démonter les manipulations médiatiques dans un univers saturé d’images.

Clarisse Hahn (SMP)
Point de vue
Le corps parle. Clarisse Hahn ne cherche pas à le traverser au-delà de la surface, en quête d’une improbable transparence. Il est opaque, visible dans ses codifications mais irréductible à toute tentative pour l’objectiviser. Il échappe. A l'opposé de l’art corporel, où le corps est mis en jeu en tant qu'outil de travail artistique et lieu de débat public au nom de la liberté de propriété sur ce corps, Clarisse Hahn n’a rien à mettre à l’épreuve. L’observation de la performance sociale des corps demande une médiation. Disons que le corps n’est jamais autant social que quand il se croit seul, dans le hors-champ du regard des autres. À quoi joue le gardien avec son chien une fois isolé de la surveillance sociale ? Mise en abîme troublante, il rejoue le pouvoir, entre le châtiment et la récompense.
La caméra de surveillance de Clarisse Hahn serait plutôt du côté de Warhol, lorsqu’il filmait le sommeil ou la durée sur ce qui est immuable (l’Empire State Building). Le voyeur croit qu’il y a quelque chose à dévoiler, un espace caché de l’autre, ici on ne trouvera que des corps mûs par des codes qui en agencent le sujet même, plus qu’ils ne le dépossèdent. « Lieu de médiation et frontière », cette chair est constituée par des langages. La camera ne regarde pas des ouvriers ou des manifestants kurdes pour se situer dans un champ d’observation politique, mais pour y discerner des réseaux régulateurs de comportements. Le choix de s’extraire des contextes conduit à la dépersonnalisation des individus filmés, rendant plus sensibles les rapports de tension et fusion à l’intérieur du groupe. Une distance qui est la condition même pour accéder à ces mises en scène ritualisées des attitudes. Le genre ici est masculin et Clarisse Hahn cherche l’intervalle dans les stéréotypes. Les rapports de force qu’impliquent des rapports de séduction - les torses nus cherchant à se reconnaître dans le regard des autres, les jeux de postures affichant l’insouciance - mélangent les signes d’appartenance aux relations physiques refoulées. Filmer des temps de pause en cherchant une interruption de la régulation des signes qu’on donne à voir de soi-même. Petit sommeil de la mémoire physique des codes. Dans l’espace de la galerie, l’artiste a mis en place un dispositif qui accentue la distance. À rebours de la tendance actuelle vers des installations de plus en plus immersives impliquant le déplacement du visiteur, elle place deux écrans en parallèle, saisissables et même réduits dans le champ de vision par l’emplacement éloigné des chaises. Difficulté à se saisir de l’espace ou façon de mettre le spectateur à sa juste place ? Le choix de filmer à l’insu des individus peut poser problème. Il interroge la surmédiatisation de l’espace public qui a aiguisé la conscience de chacun sur la valeur (financière) de son image. Le voyeur paye cher son vol. Pourtant, la banalité apparente de ces images pourrait presque faire appel à l’alibi de la neutralité. L’absence de mise en scène ne rend que plus lisible la mise en scène déjà organisée par le social. Et les exceptions à cette distance, dans le cas des séquences d’intérieur (un garçon allongé au sol faisant des exercices, en parallèle d’un autre porté sur la jouissance du récit qu’il communique par téléphone), ne nous laissent portant accéder autrement à une soi-disant personnalité. On reste à la surface, si exhibitionniste soit-elle. On n’y trouvera pas de psychologie, ni même de constat sociologique, mais un regard qui s’extériorise pour se comprendre soi-même en-dehors de l’image.
(texte publié dans le programme de la galerie)

Boris Achour, Cosmos (FRAC PACA expose à Red District)
En entrant à Red District, on est un peu surpris d’y découvrir le vidéo-club de Boris Achour, un des chefs de fille d’une génération (1) décortiquée dans le tout dernier livre de Nicolas Bourriaud, Postproduction, référence incontournable de tout étudiant des beaux-arts en mal de branchitude. Pour Bourriaud, il n’est plus question de faire du nouveau pour dépasser les œuvres d’art antérieures, mais bien d’utiliser les formes et les produits culturels déjà existants, comme dans un magasin rempli d’outils, de stocks à manipuler, rejouer et mettre en scène. L’artiste s’approprie les produits et objets de la vie quotidienne pour les faire fonctionner autrement, imaginant des liens comme un websurfer ou un Dj inventerait des itinéraires à l’intérieur d’un réseau d’objets réalisés par d’autres. Boris Achour nous propose un vidéo-club où il n’y a qu’un seul film, Cosmos (d’après le roman de Gombrowicz) mais dans une série de 200 variations autour des codes visuels du genre (aventure, action, horreur, art et essai, porno, documentaire animalier, comédie...), accumulant des références habituellement séparées: Destiny’s Child/Louis de Funès, Vito Acconci/ Mary G. Blige, Mike Kelley/Ornella Mutti, Robert Filliou/Jim Carey ou Charles Pasqua/Godard. Cette confusion des noms reflète un goût contemporain pour les allers-retours entre culture noble et ignoble. L’incertitude de ces choix exprime ainsi, comme un autoportrait, une identité qui accepte sa schizophrénie. Plus qu’une critique du chaos de la culture globale, il y a une jubilation qui cohabite avec le désir d’ordre (les boîtiers de cassettes sont rangés côte à côte sur une longue étagère). Les frontières traditionnelles entre création et copie s’estompent dès lors que l’artiste s’affirme comme un consommateur qui fait usage des produits culturels en circulation et prend la société comme un répertoire de formes. Tout est bon pour le recyclage —mais on peut toujours préférer un bon original à la copie. A l’étage, on trouve la vidéo du projet Générique, lecture d’un collage de textes (entre philo et spots publicitaires) par plusieurs personnes devenues ventriloques, privées d’identité et de conscience, le texte leur étant dicté en simultané dans un écouteur. Ce travail s’inscrit dans la ligne du Frac Paca (co-organisateur de l’exposition) qui soutient des projets évolutifs et offre ici l’occasion de nous confronter à un travail qui se place directement dans l’ère post-Internet.
(1) Il est un des responsables de la revue Trouble, projet ambitieux qui rassemble des textes de critiques à ceux d’artistes, cinéastes ou écrivains (Alain Guiraudie, Arnaud de Pallières, Nathalie Quintane, Thomas Hirschhorn, Claude Closky, Philippe Parreno ou Saverio Lucariello)

Laurence Denimal (galerie Porte Avion)
L’inconfort moderne
Bouche grande ouverte, plus grinçante que souriante, une sculpture nous introduit dans les collections de Mademoiselle X, dernière exposition de Laurence Denimal à la galerie Porte Avion (qui publie le catalogue dans sa collection L’Agence Immobile). Nous voilà au centre de ses questionnements: le langage et le corps— la dernière de ses inventions étant même la création d’un langage organique, des cyber-organes qui se substituent aux mots et réinventent un code pour son système vital. Au départ, il y a son journal de bord (ou « joubor », dérivé des blogs proliférant sur le web) et un désir obsessionnel de catalogage et d’inventaire des activités et gestes qui balisent une journée, passant de l’intime au contact extérieur (elle s’oriente d’ailleurs vers une inscription plus ancrée dans le réel avec la constitution d’une micro-politique du quotidien). Ensuite, ces données sont traitées comme des fichiers dans un logiciel qui regroupe les activités et les classe par couleurs et codes de nomenclature, mêlant le réel au virtuel. Un véritable jeu de piste qui multiplie les liens et permet une lecture non linéaire. Un travail dans les terrains vagues entre l’art et la poésie contemporaine, confirmé avec la sortie simultanée de son livre-objet Joubor Xcat04 aux éditions Al Dante(1). Denimal crée des objets-accessoires aux formes organiques regroupés en collections avec des fonctions détournées des marchandises, empruntant le lexique de la mode et du design : objets de transport («pour en finir avec sacs et poches et tout réunir à portée de main»), de confort («un soutien adapté avec régulation thermique et antibactérien»), de compagnie («toucher sensitif anti-stress, apporte douceur et réconfort») ou des séries comme Body Shop (outils de relaxation et massage sans effort). Elle s’éloigne progressivement des objets— qui souffrent ici d’un accrochage sans imagination—pour aller dans le sens de la dématérialisation que lui permettent les technologies multimédia. Dans un contexte où la génétique est prête à nous donner un monde d’où seraient exclus le vieillissement, la maladie et la douleur, Laurence Denimal nous montre les symptômes des codes sociaux, scarifications, cicatrices ou tatouages, qui nous rappellent les mutations d’un corps pris au piège des canons publicitaires et sur lequel s’impriment des «traces qui ne nous appartiennent pas.»
(1) Cette formidable maison d’édition dirigée par Laurent Cauwet était basée à Marseille, puis s’est installée à Paris. Elle réunit aussi bien des trublions des avant-gardes (Julien Blaine, Heidsieck, Isidore Isou, Orlan, John Giorno ou Raymond Roussel) que la jeune génération (Christophe Fiat, Charles Pennequin, Christophe Tarkos, la revue Nioques, les photos ratées de Thomas Lélu, les injuries d’Harmony Korine ou le cd du couple Nathalie Quintaine/Stéphane Bérard) et le succès ultime de Raymond Federman (qui a sonné le glas de sa collaboration avec les éditions Léo Scheer)

Ingrid Mourreau (Tohu-Bohu), Olivier Leroi (RLBQ)
Un dompteur solitaire aux petites jambes et hydrocéphale semble se poser en dresseur d’un groupe de seins en liberté. Les dessins et installations d’Ingrid Mourreau exposés à Tohu-Bohu(1) suggèrent des narrations inspirées des contes érotiques, des mythes, de la bande dessinée, de la peinture médiévale, de la science-fiction ou du surréalisme. «Comment sauver la planète après la vaisselle ?» s’interroge Super Vengeresse Masquée, un de ses personnages, poussant jusqu’au bout la logique des stéréotypes: une héroïne à l’identité double, entre banalité du ménage domestique et super-femme qui vole au secours des précaires, réglant son compte à un méchant patron. Faire simple, redondant et schématique pour mieux faire jaillir la logique des discours militants et en même temps préparer la révolution permanente de l’absurde: on y trouve les panneaux d’une manifestation sans slogan, remplacés par de banales icônes (pince à linge, doigt, porte-monnaie, bouche, presse-agrume). Certains dessins se transforment en maquettes, une maison de poupées devient lieu de travail miniature (atelier, bureau). L’artiste s’aventure du côté d’une étonnante guerre des sexes dans son cirque des atrocités, détournant l’imagerie féminine avec les idées mêmes qui l’ont
produite, bourreaux et victimes se mêlant dans un jeu à la fois comique et pathétique.
L’humour d’Olivier Leroi, chez RLBQ(2) est plus pince-sans-rire. Un travail indissociable du contexte qu’il investit de façon instinctive en transformant complètement cette galerie-appartement de Belsunce. On arrive dans une salle d’attente, où on trouve un vêtement pour mouton en noir et blanc réversible. Pas de mouton noir, mais une veste à retourner au gré des circonstances. Ce caractère double est encore au centre des deux autres salles. Dans la pièce blanche deux êtres se sont (in)visiblement rencontrés—la simple trace érotique des vêtements abandonnés sur le sol nous laisse imaginer leur présence. La deuxième salle est transformée en une énorme cage noire où l’on distingue peu à peu deux corbeaux «écrivant» au fur et à mesure le mot «zut»—rendus invisibles eux aussi, ils sont les peintres de l’exposition. De l’expressionnisme abstrait... Dans le petit cabinet de collages à l’étage, l’artiste perpétue son goût des jeux de mots et des calembours visuels, juxtaposant l’utilisation d’éléments de la nature à d’improbables titres dans une fable peuplée d’animaux en délire qui tourne en dérision une vision idyllique de la ruralité. La campagne comme un décor pour l’idiotie avec des récits incongrus qui jouissent malicieusement du réel.
Oups ! d’Ingrid Mourreau à Tohu-Bohu. Fond d’œil d'Olivier Leroi à RLBQ.
(1) Ingrid Mourreau expose aussi à la Collection Lambert (Avignon).
(2) Il a été un des lauréats du prix Altadis 2002 et a publié à l’occasion un catalogue avec textes du critique Paul Ardenne chez Actes Sud


Claude Closky, Bettina Samson, Kerim Seiler (Astérides, galerie de la Friche)
Non-lieu
Radicale, épurée, L’Occasion rêvée, exposition mise en scène à la Friche par Astérides (Lydia Scappini et Nadine Maurice), refuse catégoriquement la surenchère d’images, invitant chacun à se construire un scénario à travers une déambulation dans l’espace. En vidant l’espace ou en sortant de la galerie, on incite à un regard actif invoquant des images manquantes, en interaction consciente avec l’architecture du lieu. Au risque de décevoir notre boulimie de spectacle, on nous prive des repères rassurants des lectures immédiates. Avant même de rentrer dans la galerie, on lève les yeux pour voir l’énorme enseigne de Bettina Samson sur le toit de la Friche. Dans ce contexte post-industriel, entre les routes périphériques et l’arrivée des trains, un décalage se dessine avec cette annonce de la Station Bon Rivage, produisant un leurre, l’effet de mirage d’un message d’accueil dans l’abandon de la banlieue. L’artiste joue des codes promotionnels des panneaux publicitaires pour faire appel à l’imaginaire cinématographique du road-movie. A l’intérieur, on croit découvrir un studio de cinéma mis en scène par le Suisse Kerim Seiler. Tournées vers nous, les lumières de scène éclairent le centre de la galerie, encadré par des châssis de décor. En se déplaçant pour vérifier ce qui peut se cacher, on ne trouve qu’un vide, un non-lieu, une absence. L’envers du décor n’était finalement que le décor lui-même. Et la lumière se fait alors sur l’architecture de la galerie: une forêt de colonnes où l’artiste crée une Clairière,formant des jeux d’ombres et dévoilant les structures de l’art comme un spectacle où manqueraient les acteurs (hormis nous-mêmes). Déçus? Attendez alors de vous retrouver seuls dans le silence de l’autre salle. A intervalles réguliers, Claude Closky y fait résonner un air de musique aux voix mélodieuses qui entonnent le mot Week-end. Musique d’ameublement pour un espace mis à nu, dépouillé de tout objet pour laisser place à la simple évocation sonore. Poussant à l’extrême sa démarche de démontage du langage marketing— qui appartient à tout le monde sans appartenir à personne—il emprunte cette stratégie subliminale de l’easy listening habituellement diffusé dans les grandes surfaces pour nous vendre ce merveilleux produit du système d’exploitation: le congé, le temps libre, le loisir. Closky persévère dans son choix de rester à la surface des choses et des mots, agissant avec les mêmes méthodes qu’une agence de communication, fonctionnant comme miroir des artifices et signes dont il est aussi la victime consentante. On se rappelle ses papiers peints, il reprend ici le jingle comme machine à adoucir et faire supporter le réveil quotidien. Il ne dénonce pas, il déplace. Et rien de mieux que de faire le vide pour activer la puissance du trouble. «Less is more», à rebours des accrochages collectifs où les artistes sont forcés à la cohabitation sans que s'en dégagent forcément des interactions de sens.
L’Occasion rêvée à la Friche La Belle de Mai.

Xavier Veilhan, Light Machines (Fondation Vasarely à Aix-en-Provence)
« La vision ce n’est pas un acte passif» nous rappelle Xavier Veilhan(1), qui présente ses tableaux lumino-cinétiques à la Fondation Vasarely à Aix. Des écrans composés chacun de plus de mille ampoules qui diffusent de courtes séquences filmiques réalisées par l’artiste. Les images sont reconnaissables mais réduites à des formes simplifiées, ouvertes à l’interprétation (les fumées d’une usine, le trot d’un cheval, un joueur de batterie... ou cette magnifique plongée dans la piscine). Chaque ampoule diffuse une information, à la manière de pixels agrandis, par l’intermédiaire des différences d’intensité lumineuse. Il passe du virtuel au physique, de l’électronique à l’électrique, pour brûler l’image dans la surface de ces Light Machines. Pas de noir et blanc, mais des fondus cadencés (entre l’éteint et l’allumé), produisant l’incandescence d’un feu de bois. La chaleur émise par les lampes transforme l’expérience visuelle en sensation physique. La distance entre notre corps et la machine influence directement la perception de l’image: vue de loin, elle est figurative, la proximité la rend abstraite. Ce jeu avec le déplacement du spectateur nous conduit à dépasser la traditionnelle séparation entre figuration et abstraction, une fois les images montrées en même temps que le dispositif—c’est aussi bien du cinéma qu’une sculpture. Les séquences alternent entre gros plans et plans larges—s’activant selon un rythme aléatoire qui plonge par moments les salles dans le noir— pour revenir comme des bribes de mémoire, images rémanentes sans contours définis. On pense aux sculptures cinétiques de Moholy-Nagy dans les années 20, et Veilhan se réfère à Etienne Jules Marey pour le croisement entre art et science. S’interrogeant sur les rêves et utopies du début du siècle, il s’inscrit dans une post-modernité où s’affronteraient des «logiques contradictoires», associant le savoir technologique aux techniques plus anciennes, pour questionner, à travers l’expérience, ce que c’est que voir. «Il n’y a pas de réelle séparation entre les différents niveaux de perception. Je voudrais laisser le public expérimenter mon art comme la musique dans un club, comme une expérience globale.» Ce sera possible du 28 au 30 mai, quand l’architecture totale de Vasarely accueillera le très attendu festival Territoires Electroniques.
(1) A 41 ans, Xavier Veilhan est une figure de l’art contemporain. Il a été l’un des agitateurs de la scène post-punk, organisant des fêtes pour Actuel à l’Usine Palikao, créant le fanzine Blank ou intervenant sur la radio Cité Future. Dans le même temps, il expose avec les Frères Ripoulin (Pierre Huyghe et Claude Closky) ou avec le groupe Zig-Zag, réalise des pochettes de disques, ou peint les toiles de fond du clip Marcia Baïlades Rita Mitsouko. Son parcours des années 90 est exemplaire de sa génération : soutenu par la critique (Nicolas Bourriaud, Jean-Yves Jouannais ou Eric Troncy), il expose dans les centres d’art les plus novateurs de France (Consortium de Dijon, Magasin de Grenoble, Villa Arson de Nice ou CAPC de Bordeaux). L’an dernier, il participait à l’expo Coollustreen Avignon et à la Biennale de Lyon, et il finira 2004 dans le nouvel espace 315 pour l’art contemporain au Centre George Pompidou.

Olivier Millagou, Peur sur la ville (Ateliers d’Artistes)
Derrière la porte noire
L’exposition d’Olivier Millagou commence avant même qu’on la découvre avec étonnement aux Ateliers d’Artistes. Tout a été détourné, y compris le carton d’invitation, qui s’avère être une partie d’un puzzle à reconstituer. L’enquête commence là. Le titre de l’exposition (Peur sur la ville...) nous renvoie au souvenir d’un film qu’on a peut-être vu un soir de zapping à la télé, un navet des années 70, avec Belmondo enquêtant dans un Paris nocturne sur une série de femmes assassinées, et une bande-son de Morricone. Le tueur lui envoie au fur et à mesure un morceau de son propre portrait. Oui, nous sommes sur la bonne piste. Les cartons réunis, on découvre une image de palmiers. On croit déjà savoir ce qui nous attend. Millagou, artiste protégé de la galerie Roger Pailhas, avait déjà plongé avec Taboo! dans cette esthétique balnéaire, mélangeant Alerte à Malibu, héros de bande-dessinée, cartes postales de pin-up, serviettes de plage, logos de skate et imagerie hard metal –un remake post-moderne de l’iconographie des années 60, 70 et 80. Des clichés devenus les personnages d’un scénario collectif, par la puissance de répétition des médias, confrontés à notre mémoire déjà un peu revenue de l’adolescence. Mais, une fois arrivés dans cette énorme salle plongée dans la pénombre, nous restons confondus. Noir sur fond noir avec une pâle ampoule dessinant quelques repères dans l’espace. Mise en abîme de l’actuel climat de fiction sécuritaire? Coup de pied sarcastique aux attentes créées par sa première exposition individuelle dans une institution? Volte-face radicale vers le minimalisme en guise de démontage de la supposée légèreté qui lui a été accolée? C’est alors que, sur le point de retourner vers la sortie, on aperçoit quelque chose comme une bibliothèque, oui c’est ça, au fond de la salle. On s’attarde un peu sur la consultation de ces chefs-d’œuvre de la littérature dignes d’un bon vide-grenier... et c’est tout. Olivier Millagou a pris un risque, il organise un jeu de piste avec le spectateur qui ne découvrira probablement pas ce qui lui a été caché. Il réussit son œuvre la plus surprenante avec cette transposition d’une atmosphère cinématographique dans l’espace du centre d’art, en nous demandant de jouer le jeu (clin d’œil ironique aux dispositions conviviales de l’esthétique relationnelle). Le scénariste d’une fiction mille fois reproduite où il n’y a pas d’autre héros que nous. On vous dira tout simplement qu’une surprise vous attend si vous trouvez la clé. En vous conseillant vivement d’apporter une serviette de bain, car tout le reste y est.
(1) Soirées spéciales jusqu’au 16 juillet: surprise-party avec projection du film Peur sur la ville et concert d’Arnaud Maguet (disques.rotin.free.fr); performance-lecture d’Arno Calleja; projection des vidéos drolatiques d’Olivier Pietsch; ouverture du cycle Trans:it (art dans l’espace public) avec projection d’un documentaire de Bartolomeo Pietromarchi; soirée vidéo avec une parodie de guérilla urbaine d’Alexandre Perigot (à l’occasion de son exposition à la Friche).

Art Dealers
Un «auteur» pour Art Dealers
Cinq mille visiteurs sont attendus cette semaine à Marseille. La raison de cette invasion (collectionneurs, conservateurs et directeurs de musées d’art contemporain), c’est Art Dealers, le salon international d’art contemporain organisé par la galerie Roger Pailhas. A ceux qui renâclent a priori devant ce genre d’événements et leur cortège de stands d’achat/vente, précisons que cette huitième édition présente un atout majeur: Eric Troncy a été invité à choisir les huit galeries présentes au salon, une sélection dont le mystère demeure jusqu’à la dernier minute(1). La foule se déplace donc sur le seul effet de sa signature. Eric Troncy, critique d’art (Beaux Arts Magazine, Les Inrocks, Numéro), auteur d’essais (dernier en date, Le Docteur Olive dans la cuisine avec le revolveraux Presses du réel) et co-directeur d’un des lieux phares de l’art contemporain (Le Consortium de Dijon), marque surtout parce qu’il se définit comme «auteur d’expositions» (comme on parle de cinéma d’auteur). Coolustre, qu’il présentait à la Collection Lambert en Avignon, fut tout simplement l’exposition la plus célébrée et critiquée en France l’an dernier. Menant jusqu’au bout sa réflexion sur l’idée même d’exposition, il refuse les thématiques et crée des mises en scène extrêmement rigoureuses incitant à la construction d’un récit entre les œuvres («L’exposition conçue comme un film dont le spectateur fait le montage»). Il incarne aujourd’hui le pouvoir (trop?) grandissant du commissaire d’exposition (la publication de son essai Le Commissariat est prévue ce mois-ci), refusant d’organiser des expositions à partir d’une liste d’artistes sans avoir vu les œuvres. «Les œuvres d’art sont des formes avant tout.» On connaît son refus de transformer les œuvres d’art en véhicules pour des discours, surtout lorsqu’ils deviennent prises d’otages politiques. On se rappelle aussi de son peu d’intérêt pour la vidéo ou les installations éphémères («un nouvel académisme») —ce qui dans l’ensemble, on en conviendra, vient à temps rassurer les collectionneurs d’art. On peut se demander pourquoi il accepté d’organiser à Marseille «La plus petite foire d’art contemporain». Sans doute par défi, pour se confronter à une autre logique d’exposition (celle du marché), mais surtout pour l’attrait de l’imposant catalogue d’artistes appartenant à la galerie (en particulier Bernard Bazile qui y présentait il y a peu la vidéo Les Chefs d’Etat).
Marché vs. État, deuxième round
Samedi à 16h, Eric Troncy ouvrira un débat sur la situation de l’art français sur la scène internationale. On passera vite sur l’éternelle confrontation entre le rôle de l’Etat et celui du marché. Si certains n’ont jamais bien avalé les années Lang, qui ont vu la création d’une série d’institutions innovantes entre la création vivante et les publics, de l'autre côté, l’image de l’art contemporain français à l’étranger reste associée à la représentation d’Etat. A Marseille, c’est pourtant la politique culturelle elle même qui apporte un discrédit à l’art contemporain, plus que les fréquents malentendus du côté des publics. Et dans ce champ, l'orientation de la politique culturelle locale ne changera guère avec l'annonce du gigantesque chantier du Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, qui se veut essentiellement «lieu de mémoire». A quand un budget conséquent pour les Ateliers d’Artistes, un statut plus autonome pour le Mac (de façon à éviter des désastres comme l’exposition sur la Chine, «diplomatiquement» imposée par la Ville) ou un projet architectural adapté à la dynamique du Frac? Le succès inattendu de la Bibliothèque de l’Alcazar prouve pourtant — une fois crées les infrastructures et les moyens pour une véritable action dans l’espace public— la non-validité des idées toute faites qui figent la ville dans ses clichés indémodables. (1) Ce qui n’a pas empêché la circulation de quelques noms, qu’on dévoile ici

Art Dealers: Itinéraire
Avec la sur-médiatisation des enjeux du marché et la multiplication des débats autour du rôle du commissaire d’exposition (qui reste, somme toute, un médiateur), on oubliait ce qui, finalement, nous intéresse : les artistes. Voici donc une petite carte des événements proposés cette semaine à l’occasion de Art Dealers. Ce mercredi à 17h30 sera l’occasion de confirmer les rumeurs concernant les galeries invitées chez Roger Pailhas. On ne s’étonnera pas d’y trouver la galerie Air de Paris, probablement le meilleur emblème d’une génération d’artistes croisés à l’emblématique école du Magasin à Grenoble (Philippe Parreno, Pierre Joseph), très soutenus par Eric Troncy et propulsés entre-temps au rang de stars, ainsi que Paul McCarthy, Liam Gillick, Olaf Breuning ou Carsten Holler (très attendu cet été au Mac). Air de Paris fait partie des jeunes galeries de la rue Louise Weiss à Paris qui ont bousculé les habitudes des poids lourds du Marais. L’une des pionnières de cette mouvance est aussi invitée : Almine Rech, connue pour soutenir fortement la photographie. Parmi « ses » artistes, on trouve James Turrell, Ugo Rondidone, Philip-Lorca di Corcia ou Rebecca Bournigault. Une surprise, c’est peut-être l’accueil de l’émergente galerie Maisonneuve, qui a fait le pari d’une localisation « off-circuit », puisqu’elle s’est installée à la new-yorkaise au cinquième étage d’un immeuble industriel du côté du Père Lachaise. Jan Kopff, Claudia Triozzi (venue cette année à Marseille à l’invitation de Marseille Objectif Danse) ou Alexandre Perigot (avant son exposition à la Friche) font également partie des artistes possibles. Côté international, on comptera sur l’incontournable galerie berlinoise Schipper & Krome, où l’on trouve quelques-uns des artistes susmentionnés, à côté d’Angela Bulloch, Dominique Gonzalez-Foerster, Pierre Huygue ou Ann Veronica Janssens. De Bruxelles arrivera la galerie Catherine Bastide. On parle aussi de la possible venue du projet Wrong Gallery et de l’artiste italien très controversé Maurizio Cattelan. Après avoir assommé le pape avec une météorite dans une célèbre installation, il a vu récemment sa sculpture avec des enfants pendus à un arbre être attaquée par des spectateurs choqués sur une place de Milan. Jeudi à partir de 17h, c’est le tour des rencontres dans les treize galeries partenaires de l’événement. Pour rester poli, on dira que l’ensemble est très hétéroclite. On vous conseillera l’artiste suisse Danielle Buetti, présentée par le Frac chez Red District au Panier, ainsi que le New-Yorkais Jason Glasser, proposé par Triangle à la Friche (qui marque le retour au commissariat d’Alun Williams, responsable de la Parker’s Box, extension new-yorkaise de Triangle). Jeudi soir, c’est la nocturne d’Art Dealers avec le vernissage du Project.Room, choix annuel de jeunes artistes marseillais : Marc Quer, Ingrid Mourreau et David Giancatarina. Autour des expositions, une soirée concert-performance déjantée est au programme vendredi soir, organisée par le Frac et Triangle au Poste à Galène. L’occasion de voir John John V, le groupe de l’artiste Jason Glasser, Electricworms (le groupe improbable des artistes marseillais Francesco Finizio, Denis Prisset de SMP, Mathieu Provensal ou David Dupont) et l’electro-surf de Vegomatic. Dernier jour, samedi, avec la remise du Prix Mécènes du Sud à un artiste. Julien Blaine fera une performance à 19h à la galerie Jean-François Meyer, histoire de mettre un peu de désordre avec sa poésie d’engagement du corps au-delà des mots.

Danielle Buetti (Red District), Zbigniew Libera (RLBQ)
La face cachée de la lune évoque un univers féerique de l’ombre. Avec Ombres de Lune, caverne en bois de fête foraine, Danielle Buetti transforme entièrement l’espace de la galerie Red District(1). On traverse un couloir étroit et circulaire, une mine où l’odeur d’humidité de la terre se mêle aux bruits sourds de machines et à une lumière hésitante qui menace de nous plonger dans le noir. Buetti construit un environnement pluri-sensoriel, créant une impression de claustrophobie qui contraint le visiteur à participer, tiraillé entre attraction et répulsion. Au bout du parcours il y a une pièce, sorte de grenier, où l’on est saisi par la menace d’un énorme nez qui a traversé le plafond. Le Luna Park se transforme subitement en Freak Show grotesque et scatologique, avec des humeurs coulant au sol pour se transformer en stalagmite. Gulliver emprisonné pour satisfaire une pulsion morbide du regard? L’artiste suisse, surtout reconnu en France pour ses photographies de mode scarifiées, nous fait plonger dans l’envers de la cosmétique publicitaire. «A quel moment un grain de beauté devient un cancer?» Buetti s’intéresse au moment particulier où se produit ce basculement, à travers un incroyable chantier imaginatif qui élargit l’idée de beauté aux zones les plus tragi-comiques. L’imaginaire collectif induit par la logique de reproduction des médias est aussi investi par l’artiste polonais Zbigniew Libera, dont les photographies sont exposées à la galerie RLBQ. Cette série, montrée pour la première fois en France(2), est constituée de clichés de l’artiste parus dans la presse. Il agit comme un virus dans la biologie médiatique, utilisant le langage et les stratégies du journalisme, pour les déjouer de l’intérieur. Libera ne procède pas par prélèvement d’images déjà en circulation, mais inscrit ses mises en scène photographiques dans leur environnement naturel (la presse), démasquant le pouvoir d’images de plus en plus confondues avec le réel. «Je suis un menteur, mais je montre comment je mens.» Son regard corrosif détourne l’esthétique soviétique qui donnait à voir le côté héroïque de la marche de l’Histoire, pour réinterpréter «positivement» des photographies devenues icônes du 20e siècle (camps de concentration, guerre du Vietnam, etc). «Le vrai est devenu un moment du faux» disait déjà Guy Debord. Dans un système où les images se reproduisent de façon autonome sans qu’on en puisse contrôler le flux, Libera nous rappelle qu’on est responsables de celles qu’on développe mentalement.
Ombres de lune de Danielle Buetti à Red District. Positives de Zbigniew Libera à la galerie RLBQ
(1) L’exposition est organisée en partenariat avec le Frac Paca, qui produit cette œuvre inédite et co-édite à l’occasion une brillante monographie de l’artiste (dirigée par Christoph Doswald)
(2) La galerie s’est pourtant vue menacée par les Rencontres de la Photographie d’Arles, qui voulaient réaliser la première de l’exposition cette année


Jason Glasser (Triangle, galerie de la Friche), Laurent Le Forban (Galerie Porte-Avion)
Quand Jason Glasser a découvert la galerie que lui offrait Triangle à la Friche, l’étendue de l’espace a été un régal pour ce New-Yorkais habitué à travailler et à exposer dans de petits lieux—un peu comme dans ce dessin où un centaure vit son quotidien dans la désolation d’un deux-pièces. Une figure mythologique, récurrente dans ses œuvres, qui synthétise la nature de son travail. Les animaux, privés de l’expression de nuances psychologiques, s’offrent aisément à notre anthropomorphisme. Dans ces paysages-jouets, ils deviennent même mélodramatiques. Wrong Hero, peinture murale démesurée, dramatise l’instant d’un coup de fusil sur un ours aussi menaçant qu’attendrissant. Face à cette force presque puérile de la nature, l’homme est ramené au rôle impuissant du chasseur. «On peut enlever un garçon de la campagne, mais on ne pourra pas enlever la campagne du garçon», nous dit en souriant Jason Glasser, 36 ans, né dans le Connecticut et devenu une figure remarquée de la scène rock indépendante new-yorkaise avec son groupe Clem Snide. La musique (de Captain Beefheart à Marc Ribot) reste une puissante source d’inspiration, qu’il intègre à son travail plastique dans des petits films d’animation d’une troublante sensibilité (voir le mouvement saccadé des centaures, inspiré de la poésie des images scientifiques de Muybridge). Belle idée scénographique, la lumière de l’espace interagit de façon très subtile avec ses œuvres. L’ensemble s’inscrit dans une mythologie sans temps défini, allant des archétypes de la tragédie à ceux du western, dans un univers empreint d’une intense mélancolie. Dans un autre registre, Laurent Le Forban expose l’installation Jouirland à la galerie Porte Avion: un labyrinthe panoptique aux parois de carton délimitant la course chaotique de bestioles électriques. Des jouets en plastique affublés de prothèses aux connotations sexuelles qui s’emboîtent ou se repoussent au gré de leurs rencontres aléatoires, retransmises en direct sur deux écrans. Surveillance télévisuelle de l’intimité (plus réelle à l’écran?) pour un voyeurisme collectif —un dispositif impliquant, qui renvoit à certains programmes de télé-réalité, transposés ici à l’échelle des rats. Amplifiant une tension à l’œuvre dans deux vidéos qui se répondent en miroir, un bruit assourdissant résonne dans l’espace comme un coup de feu. Une chaise attachée par des élastiques étirés à l’extrême est transformée en projectile dans un brutal aller-retour répété entre le dehors et le dedans d’un garage. Une des vidéos est entourée de dizaines de dessins, autant de tentatives de représentation du sexe féminin dans une série intitulée Encore raté! (ou enfin réussi). Démarche obsessionnelle qui se confond au désir.Lequel, même démystifié, reste inexplicable.

Bureau des Compétences et Désirs
Laboratoires, agences, sites de création...De nouveaux espaces pluridisciplinaires, n’ayant pas comme objectif la mise en place d’expositions mais plutôt le développement de projets d’artistes, cherchent des désignations plus ouvertes et modulables que celles de «galerie» ou «atelier». Ainsi, le très discret Bureau des Compétences et Désirs, établi dans le quartier Panier-République, se propose de relier l’artiste à la société. «Les centres d’art ne paient pas les artistes qu’ils exposent, sous prétexte qu’ils leur produisent des pièces» dit Sylvie Amar, co-fondatrice de l’agence il y a dix ans avec Yannick Gonzalez . Proposant une alternative rémunérée à la précarité, ils interrogent le rôle de l’artiste dans la société et sa valeur d’un point de vue économique (pas seulement marchande) et, surtout, social. Ils sont les médiateurs délégués en PACA pour le programme Nouveaux commanditaires de la Fondation de France, qui permet à tous les citoyens ou associations qui le désirent de passer commande à des artistes contemporains. En donnant la possibilité à chacun de dépasser le simple rôle de spectateur des œuvres pour devenir acteur, ils produisent des projets d’intérêt public (dans des écoles, hôpitaux, instituts...et même dans le paysage urbain ), avec les artistes les plus appropriés aux propositions. L’art aurait-il une fonction sociale? Les innombrables associations en activité à Marseille agissent le plus souvent à l’échelle du quartier, transformant souvent l’artiste en «animateur socioculturel» pour établir le sempiternel « lien social». A rebours d’une certaine morosité, le Bureau de Compétences et Désirs réussit la difficile interaction local/global. Son objectif:mettre en relation le tissu urbain et associatif local avec un réseau de dimension internationale. Ainsi, sont déjà passés par là Daniel Buren, Andrea Blum, Michelangelo Pistoletto, Sarkis, Andy Goldsworthy, Eric Samakh ou récemment Francesco Finizio. En parallèle, le Bureau propose aussi bien un centre de documentation ouvert au public (il publie des posters d’artistes et de petits livres dans des collections thématiques) qu’une interface d’exposition (1). Il s’agit là encore d’une proposition hors normes: avec Serial Objects, ils permettent aux artistes de réaliser un objet multiple. Auparavant offert au visiteur avec Antoni Muntadas, Jean Belissen ou Sylvie Réno, il est vendu à 3,99 euros dans le cas des lampadaires « do-it-yourself» de Cooked in Marseille, actuellement en diffusion. A quoi sert une œuvre d’art et doit-elle servir à quelque chose? Les multiples mettent en crise le statut de l’œuvre unique et originale, si chère au marché de l’art. Son accessibilité, voire sa consommation courante, dessinent de nouvelles valeurs d’usage à la création artistique, lui permettant d’ infiltrer la vie quotidienne tout en interrogeant sa fonctionnalité potentielle.
(1) Les activités s’élargissent de la mise en réseau de créations sur Internet à la production du film de Marc Pataut présenté au prochain FID


Expositions de l'été: Carsten Höller, Björn Dahlem, Nicolas Schöffer, Alexandre Périgot, Dorothea Schulz, Zineb Sedira
2004, l’audio-vision de l’espace
Cet été à Marseille, l’art contemporain plonge du côté de la science, traversant des champs de force magnétique et autres tunnels instables de l’imaginaire, à travers une navigation dans les laboratoires de la science-fiction. L’exposition-événement de Carsten Höller au Mac(1) plongera le visiteur dans des expériences parfois délirantes qui désorientent notre perception du «réel». Dès l’entrée, un matériel d’expédition nous sera proposé: sac à dos équipé de miroirs permettant de se regarder marcher et lunettes inversant la vision. Prêts? Portes automatiques en miroirs, corridors labyrinthiques, films à voir avec des lunettes virtuelles et cabine de déshabillage avant immersion dans le Psycho Tank— un projet construit spécifiquement pour l’espace du Mac. Etabli à Stockholm, Carsten Höller, a fait des études scientifiques en Allemagne avant de devenir un artiste contemporain des plus marquants. Avec ses «machines à confusion», il introduit le doute dans le caractère conscient de nos comportements, conduisant à la perte d’orientation à travers l’expérience simultanée de situations contradictoires. A contre-pied des dispositifs spectaculaires, le jeune artiste allemand Björn Dahlem propose au Frac une version carton-pâte des fictions de la science, comprenant ses doutes, dérives et anticipations (trous noirs, univers parallèles, tunnels quantiques, etc.). Ses constructions fragiles aux matériaux pauvres mettent en scène un imaginaire loufoque où les théories scientifiques sont transposées au quotidien. Il met l’accent sur l’erreur et le doute dans une parodie poétique de l’instabilité des interprétations scientifiques dans un monde changeant et relatif. La galerie Red District expose une installation des vidéos de Michel Blazy, voyage sur les paysages d’une autre planète. En fait, des microcosmes domestiques de nourriture en décomposition qui établissent un dialogue entre goût et dégoût, forme et informe. On connaissait l’intérêt d’Eric Mangion pour la science-fiction et sa puissance imaginaire d’anticipation (voir son entretien dans Art Press avec Dan Simmons, le gourou du genre), qu’il réactive d’une manière différente avec un autre projet: la mise en lumière de l’œuvre visionnaire de Nicolas Schöffer, à la Fondation Vasarely et à la Villa Tamaris (Seyne-sur-Mer). Son travail prolifique comprend aussi bien les premières sculptures de lumière cybernétiques des années 50 que des projets d’architecture utopique, en passant par des œuvres pionnières en vidéo et des interfaces avec la musique et la danse. Une œuvre inépuisable et enfin contemporaine, après avoir été toujours en avance sur son temps. Changement de registre avec l’exposition très attendue d’Alexandre Périgot présentée par (S)extant et plus à la Friche. Il s’ingénie à démonter la petite cuisine de l’illusion du grand spectacle et de son star-system en dévoilant l’envers du décor. Ainsi dans Radio Popeye, il ne reste qu’un village-décor du tournage du film de Altman, sans qu’on puisse dire s’il a été déserté ou s’il s’agit d’une maquette. Sur l’esplanade, la Maison Témoin reprend Graceland, maison d’Elvis à Memphis et site privé le plus visité au monde. La vidéo Blondasses, réalisée avec des agriculteurs, joue sur stéréotypes de la beauté avec du blé transgénique, pendant que l’installation Café des Sportsreproduit la perception déstabilisée de l’ivresse. Périgot s’inscrit dans la mouvance de la post-production, activant une playlist de références communes pour inventer des itinéraires critiques. La découverte des dessins de Dorothea Schulz à la galerie de l’Ecole des Beaux-Arts, rue Montgrand, est une véritable surprise. Les personnages qu’elle crée d’un trait clair, aussi bien humains qu’informes, participent de récits induits par des phrases d’une sublime absurdité. Des fragments de voix que cette artiste allemande a entendues au hasard de sa découverte de la langue française, transmises sur ses «dessins en écoutant», éveil jouissif à l’altérité. Au chapitre vidéo, la galerie Où et le FID invitent Zineb Sedira, pour une réflexion sur l’identité, les frontières de la langue et la transmission entre générations, à travers une conversation de l’artiste avec sa mère et sa fille. Pour finir, Les Rencontres de la Photographie d’Arles sont placées cette année sous le regard iconoclaste du Britannique Martin Parr, ce qui augure une édition pleine de surprises brisant une certaine méfiance des photographes vis-à-vis de l’art contemporain. Loin des vagues tape-à-l’oeil du tourisme culturel, un été rempli de perspectives nouvelles pour l’ouverture des sens.
(1) En parallèle, une exposition de Gilles Mahé (décédé il y a cinq ans) propose un travail foisonnant de stocks d’images impliquant la participation du spectateur, prolongation du projet d’un art qui se veut confondu à la vie privée


Buy-Sellf (Ateliers d'Artistes)
(Super)marché de l'art
La Redoute, Les trois suisses... c’est la fin d’une époque. Avec le nouveau catalogue de VPC Buy-sellf, vous trouverez enfin les réponses à des besoins que vous n’aviez pas encore. Cette entreprise présente actuellement ses produits à côté de chez vous, aux Ateliers d’Artistes, devenus pour l’occasion grand magasin d’objets aux (in)utilités variées et improbables. Derrière cette agence de prototypes se cache le collectif Zebra 3 de Bordeaux, créé en 1993 par les artistes Sébastien Blanco, Frédéric Latherrade et Laurent Perbos, récemment établi à Marseille. A un moment où la figure du collectionneur est revenue sur le devant de la scène (avec la nouvelle Maison Rouge à Paris) et à quelques semaines du grand raout marchand qu’est la FIAC(1), on finirait par n’avoir d’yeux que pour le marché de l’art. Nous voilà sauvés: voici son supermarché. Le hasard fait que même la FIAC ouvre pour la première fois ses portes au design, soulignant l’ambiguïté confondante entre œuvres d’art et produits en série. Buy-sellf l’assume de façon décomplexée, l’humour en plus. Plus qu’une offensive déclarée au système des galeries, il s’agit d’une nouvelle génération d’artistes-organisateurs ou «entreprises» d’artistes qui se représentent eux-mêmes, s’inscrivant dans la lignée de Fabrice Hybert — qui déjà se réappropriait les rouages mercantiles et leurs réseaux de com’, intégrant la diffusion dans la démarche artistique. Buy-sellf simule ainsi les codes de la production industrielle pour en faire son terrain d’intervention: catalogue aux couleurs publicitaires avec prix affiché sans identification de l’auteur, film-annonce façon télé-achat, rayonnage de type grand surface. On peut y trouver une maison-table adaptable au manque d’espace des foyers aux loyers modérés (collectif Action Futur), une armoire-bateau pour échappée maritime après boulot (Olivier Tourenc), des rochers synthétiques creux qui donnent à votre salon un côté nature (Guillaume Constantin), des lampadaires siamois en grappe (Mathieu Mercier), un seau bleu façon casque de protection pour des actions de désobéissance civile (Serge Le Squer), un bosquet portable pour mieux épier vos proches (BGL), un podium inversé donnant substance à l’expression caritative «Les derniers seront les premiers» (Nicolas Milhé), un canari en cage devenu émetteur radio en alternative aux play-lists FM (Francesco Finizio) ou une batterie sur tourne-disque et effet larsen intégré (Sabdam). La parodie a pourtant ses limites: Buy Sellf frôle parfois la blague de potache sans vrai intérêt artistique et reproduit la logique mercantile du système qu’il veut critiquer, avec des pièces uniques pouvant coûter 36000 euros. L’intérêt du projet est sans doute dans sa façon d’inverser les codes du marché (qui nous proposait déjà des produits parfaitement inutiles). En manipulant le premier degré avec un humour terroriste, ils réinvestissent le réel avec un système d’échange qui produit du sens (entre prototype de recherche et littéralité pathétique). Maintenant courez: cette offre unique est limitée.Elle va changer votre vie.
(1) La galerie Roger Pailhas sera présente à la foire de Paris avec une présentation individuelle de Katia Bourdarel (qui avait déclenchée une polémique avec ses photos d’enfants pour une affiche d’Art Dealers), ainsi que l’artiste marseillais Marc Boucherot pour la présentation d’une importante exposition réunissant la jeune scène française à l’espace Paul Ricard (l’attaque au petit train de la Bonne-Mère, c’était lui)


David Dupont, Aernout Mik, Dezso Szabo, Romain Signer, Martin Kersels, Alain Rivière (Astérides, à la galerie de la Friche)
L’art du désastre
Une météorite a atteint la galerie de la Friche, s’arrêtant, suspendue dans sa trajectoire, au-dessus de nos têtes. Cette sculpture monumentale de David Dupont (par ailleurs bassiste pour le «groupe rock» frimeur Electricworms) est l’annonce catastrophique de l’exposition de l’association Astérides. Les commissaires Nadine Maurice et Guillemette Naessens(1)ont dessiné un dialogue entre des œuvres qui traitent des notions de catastrophe, de chute et d’accident. Réfutant la mise en spectacle ou la dramatisation de l’événement, les artistes fabriquent des situations artificielles où l’accident devient principe constructif et déclencheur de dynamiques. Ainsi, le génial artiste hollandais Aernout Mik, dans la vidéo Zone, promène un travelling sur un territoire où les enfants auraient été délivrés des adultes, jouissant de la gratuité transgressive de la destruction. L’absence du son transforme cette banlieue hors surveillance en champ de bataille ouvert au chaos. Fiction ou documentaire? Le jeune artiste hongrois Dezso Szabo met lui aussi en scène des images où s’installe le doute: ses photographies de tornades dans des paysages aux couleurs saturées seraient-elles des maquettes fabriquées de toutes pièces, des extraits d’une revue de fait-divers,ou bien les deux? Un réalisme trompeur que le Suisse Roman Signer, au contraire, transforme en expérience bien réelle de l’explosion — il s’est proposé d’utiliser une roquette pour dessiner une ligne de lumière parfaite dans la tranquillité horizontale d’un paysage de neige. La trace photographique de ce défi absurde pratiqué par l’artiste devient sculpture éphémère qui trouble la perception du lieu. Martin Kersels met quant à lui son corps à l’épreuve, organisant des chutes préméditées dans la rue. A la fois dramatique et burlesque, la chute résume notre puissante fragilité – Kersels fait du ratage répété le privilège de ceux qui ne connaissent pas les limites instituées du ridicule ou de la réussite. Alain Rivière se photographie aussi lui-même, à côté de textes griffonnés dans une brillante série d’inédits, Hubrys. Avec une ironie toute particulière, il présente ces vues de l’esprit divisées par sections (art, philosophie, politique) — des textes-dessins entre réflexion et médiocrité fumiste qui refusent un sens de lecture linéaire et rationnel— pour affirmer le pouvoir de l’accident dans la production de (non-)sens multiples et aléatoires. Dans la vidéo Comment j’ai fait certaines de mes expositions, il organise des micro-accidents dans des galeries miniaturisées, multipliant des performances aussi laborieuses qu’absurdes, manière de balayer en quelques minutes une part de l’histoire de l’art et toutes les expositions spectaculaires qu’il aurait manqué de faire. Jubilatoire.
Septembre en octobre à la Friche la Belle de Mai
(1) Les artistes Gilles Barbier et Sandrine Raquin font aussi partie de l’association qui poursuit une démarche, plutôt isolée à Marseille, d’organisation d’expositions thématiques confrontant jeunes artistes en résidence et noms contemporains reconnus que l’on peine à voir ici


Raphael & Tobias Danke, Sofia Hulten, Oliver Croy, Matthew Burbidge, Tue Greenfort (SMP)
La Géométrie du chaos
Le jour du vernissage à SMP, on a été surpris par un étrange mécanisme détournant l’eau du caniveau pour la stocker dans un réservoir à l’intérieur de la galerie. Un système illégal d’approvisionnement? L’artiste Tue Greenfort réagit toujours au contexte pour réaliser ses œuvres. S’intéressant aux réseaux de circulation urbaine, il s’est étonné du fait que l’eau servant à nettoyer les rues de Marseille soit potable. Il a alors décidé d’interférer dans ce circuit, prenant en otage mille litres d’eau, de façon à interroger la valeur des biens communs et leur privatisation. L’exposition L’attitude des autres réunit six artistes installés à Berlin(1). Sur l’affiche, on découvre l’image d’une fractale(2), afin d’illustrer des démarches artistiques qui cherchent à donner forme à un réel en permanente transformation. Ils puisent dans différents systèmes de pensée (science, histoire, philosophie) pour réaliser des expériences instables entre l’ordre et le désordre. Les frères Raphael et Tobias Danke exposent une sorte de jeu de lego abstrait avec des pièces en bois, pour agencer une construction où l’on peut intervenir – l’emplacement des pièces suit une logique ordonnée tout en laissant participer le hasard. En face, ils ont placé un panel chaotique d’images disposées en symétrie, sans classement de goût esthétique. S’inspirant du mythe de Pygmalion (ce fantasme de la sculpture classique où la figure prendrait vie), ils passent de l’image d’une statue de nu à son incarnation dans la culture populaire (photos de mode, pochettes de roman de gare, imitations kitsch de vide grenier), mélangés à des portraits d’un corps dégagé du sublime (performance sado-masochiste, sculpture d’une chair morcelée). Une représentation qui a traversé l’histoire, devenant support fictionnel d’une société consommatrice d’images. Cette remarquable installation des frères Danke est d’une intelligence diabolique. De son côté, Sofia Hultén se borne à creuser un trou dans un jardin public, disparaissant dans le sol pour répéter le même geste sans issue ou logique apparente (vidéo Si l’enfer existe). Oliver Croy s’intéresse aux micro-sociétés parallèles, comme dans son documentaire sur l’architecture écologique des communautés hippies californiennes. Ici, il réalise un travail autour des hallucinogènes, s’inspirant de l’ethnologue Carlos Castaneda qui a étudié les effets de l’utilisation du peyotl dans la culture visuelle mexicaine. En contraste, Matthew Burbidge présente, au fond de la galerie, l’installation La jeunesse emmerde les éducateurs. Une scénographie lourde, une ambiance de chalet en faux bois où s’accumulent les symboles d’une Allemagne qui garderait encore les traces de son passé. Derrière ces objets de décoration se dissimule une imagerie (une croix gammée prend la forme d’un ventilateur), un héritage de non-dits implicites qui continue de traverser la société.
L’Attitude des autres à SMP (Sol Mur Plafond)
(1) Un choix des commissaires Eva Garcia Gudde et Henrikke Nielsen. Berlin, ville en chantier, est-elle un havre européen propice au système D des artistes? Quand Londres et Paris n’arrivent pas à empêcher la spéculation immobilière, la capitale allemande se reconstruit tout en laissant des nombreux espaces vides pour la réappropriation artistique. Si les grandes galeries et le gotha du marché de l’art — qui jettent un regard semi amusé sur cette «grande cour de récréation»— restent ancrés à Cologne, Berlin (même frappée par la crise économique) est l’un des centres où s’installent le plus d’artistes de toutes les nationalités.
(2) Une découverte du mathématicien Mandelbrot, parfois accusé d’ésotérisme par des collègues pas très rompus à l’imagerie psychédélique


Patrick Everaert, Olivier Cadiot (FRAC PACA et Montévidéo)
Sans Titre
Le FRAC expose les photographies énigmatiques de Patrick Everaert et démarre pour l’occasion une nouvelle série de rencontres à Montévidéo. Première autour d’Olivier Cadiot.
« Ce qui peut être défini est fini (mort)», affirme Patrick Everaert, pour qui le visible n’est pas lisible et résiste à la définition. Photographe? L’artiste belge n’a jamais photographié — il emprunte ses images dans des magazines, sur Internet ou dans des livres dont il ne comprend pas la langue, pour mieux échapper, comme nous, à l’interprétation. Après une série d’expositions très scénographiques, on sera un peu étonnés de redécouvrir le FRAC vidé d’installations au profit d’un accrochage classique où chaque œuvre est autonome. D’avantage peintre que photographe, Patrick Everaert nous donne à voir des images à la fois familières et hésitantes, muettes, qui résultent de la manipulation et du mixage d’éléments hétérogènes. Et que voit-on? Un spationaute, un scientifique avec masque à gaz? Un jouet tournoyant, un simulateur de gravitation? Une cuisine, un laboratoire, une morgue? Une architecture constructiviste, une salle d’expérimentation sonore, une cellule d’hôpital psychiatrique? Une femme allongée dans son lit ou inerte sous une bâche? Et que regarderait cet homme au masque penché sur l’obscurité d’un trou? Patrick Everaert organise une collision de contraires et nous fait plonger dans l’univers clinique d’expériences scientifiques ou dans des scénarios de désastre — une confrontation à l’angoisse suscitée par la mort, que cet artiste ne cesse d’exorciser. L’apparence de réel glisse du côté d’une fiction sans langage préétabli, aux multiples portes d’entrée. Il ne s’agit pas d’avancer du côté du rêve, de l’inconscient, mais plutôt de questionner l’efficacité des images qui nous entourent quotidiennement. Avec ses images en suspension, Everaert cultive la puissance du doute et du paradoxe pour produire une instabilité de la perception, qui devient moteur de récits.
Les fictions de l’image
Récemment revenu de Sao Paulo où se tenait l’une des plus importantes biennales d’art contemporain (sous le thème du «territoire libre»), Eric Mangion, directeur du FRAC, développe une réflexion sur la notion de traduction, enjeux majeur d’un monde de l’art globalisé, mais aussi transfert de données imaginaires d’un territoire à l’autre. De l’image à l’écrit, par exemple(1). L’image virtuelle n’a rien de nouveau — les auteurs de fiction ou les metteurs en scène ont toujours manipulé nos certitudes en construisant un réel potentiel et différé. Les images d’Everaert sont proches du travail d’Olivier Cadiot, l’un des plus brillants écrivains contemporains, invité des premiers Traits Libres (rencontres nées de la complicité entre le FRAC et Montévidéo). On ne s’étonnera pas que le premier ouvrage à lui être consacré (Le facteur vitesse) soit écrit par un critique d’art, Michel Gauthier. Autour de la table ce samedi: le jeune philosophe Marc Alizart (voir sa revue MULsur le Web), François Cusset, qui viendra parler de la notion d’interprétation(2), Patricia Falguières, qui s’intéresse aux matériaux de la mémoire et Nelly Kaprièlian (Les Inrocks), une des seules critiques littéraires en France à s’intéresser aux écritures hors-normes... Enfin, sera également présent un ami de toujours de Cadiot, oui, Jean-Pierre Rhem (il fallait les voir en fin de soirée à L’Unic pour s’en rendre compte), directeur du FID et critique d’art porté par l’impératif de l’éthique. Rares sont les occasions de trouver un plateau si réjouissant à Marseille. L’événement est donc inratable.
(1) A l’occasion de cette exposition, le FRAC débute une collection de livres format poche. Le premier contient un texte surprenant d’Eric Mangion oscillant entre l’essai et la fable autour d’un fait-divers d’amnésie collective — faisant écho à l’expérience que l’on peut éprouver face aux images de l’artiste
(2) Il est l’auteur de French Theory, autour de la façon dont Foucault, Deleuze ou Derrida sont devenus, malgré eux, des icônes de la post-modernité dans les campus américains


Christian Marclay, Sol Lewitt (Collection Lambert, Avignon)
Ecoutez, ça a tout à voir
Certains ont dû remarquer la pochette du dernier album de Sonic Youth avec une infirmière malmenée par la peinture de Richard Prince. Du côté de New York, la musique et l’art contemporain semblent se traverser par éclats avec un goût de désordre. Christian Marclay, bricoleur expérimental du scratch, qui fait des platines un instrument à part entière, musicien d’avant-garde (avec John Zorn, Fred Frith, Arto Lindsay, Sonic Youth) expose en ce moment sa première rétrospective en France à la Collection Lambert d’Avignon(1). Marclay brise l’écart entre son et silence, envahissant l’espace du musée en activant notre jukebox mental à travers les supports visuels associés à la musique. Vinyles cassés et recollés (qu’il repassait encore sur des platines) ou bien fondus devenant sculptures en plastique, jeux de collage avec couvertures d’albums cousues pour former des corps de superstars mutants ou encore instruments aux formes monstrueuses (une batterie sourde élevée à quatre mètres du sol s’accordant à l’image du son qu’elle produit)... Il n’établit pas de frontières entre l’imaginaire pop et l’expérimental pour explorer les rapports entre la vision et l’écoute. Et élargit d’ailleurs l’univers sonore au cinéma, aussi bien en composant une pièce musicale ahurissante avec quatre projections simultanées d’extraits de films en tout genre (Video Quartet) que par le montage de séquences d’appels téléphoniques (le téléphone est récurrent dans son travail en tant qu’interface de l’ouie et de l’imaginaire). Cet enfant du punk, devenu Dj au moment où il découvrait Grandmaster Flash, annonçait dès les années 80 l’appropriation des méthodes de sampling et de mixage par l’art contemporain et investit l’univers musical sans passer par la prolifération actuelle des environnements sonores. En parallèle s’établit un passage silencieux avec l’exposition de Sol Lewitt, un des fondateurs de l’art minimal et conceptuel des années 60, qui en surprendra plus d’un avec la découverte d’une partie méconnue de son travail. Plus de deux milles photographies, dont la série Autobiography où il transforme l’autoportrait classique en une série infinie de clichés de tous les objets se trouvant chez lui avant déménagement. S’il prolonge sa démarche d’effacement de l’artiste derrière les œuvres, le rythme foisonnant produit par ces combinaisons de formes et couleurs dresse un portrait kaléidoscopique de l’artiste, plutôt connu pour ses séries et sculptures géométriques.
(1) En attendant de meilleures nouvelles de la programmation des musées de Marseille, le détour sert aussi à nous rappeler ce que veut dire un espace d’exposition quand il se propose d’être vivant: créations in situ qui contaminent progressivement une architecture pensée pour les artistes, librairie, éditions d’artistes...

Gail Pickering, Lindsay Seers, Mark Pearson, Matt Franks, Abigail Reynolds
(Triangle, galerie de la Friche)

En guise d’accueil, les visiteurs de l’exposition à la Friche se barricadent derrière une cimaise à l’entrée de la galerie, pour bombarder de grains les nouveaux venus. Cette pièce de l’artiste Gail Pickering fait éclater la structure classique de l’accrochage pour la transformer en sculpture où il n’y a rien à regarder mais à «jouer». L’interactivité ne marche pourtant que dans un sens: soit chasseur, soit chassé. Mélangeant le vocabulaire de l’installation, de la sculpture et de la performance, elle invite le spectateur à jouer à l’attaque. Mind the gap, organisée par Triangle, est ainsi parsemée de basculements, de sursauts d’énergie non retenue, fidèle aux rebondissements de l’actuelle scène artistique de Londres. Après l’hégémonie des Young British Artists pendant les années 90, profitant de la promotion médiatique et publicitaire et de la spéculation du marché de l’art, quelle place et, surtout, quels enjeux pour ces nouveaux artistes(1)? Le cabinet de curiosités de Lindsay Seers est un concentré d’angoisse, profondément autobiographique – plongée dans l’incommunicabilité due à des troubles de mémoire, son apprentissage du monde extérieur se fait dans un rapport obsessionnel avec la photographie (allant jusqu’à inventer un moyen de réaliser de photos utilisant sa bouche). Elle se met en scène sous les traits d’une poupée bicéphale dans une ambiance bleutée surnaturelle, croisant la voix d’une voyante et la sienne comme venue d’outre-tombe. Qui regarde et qui est regardé? Si jusqu’ici ses « doubles» photographiaient le spectateur par leurs bouches, l’artiste se propose maintenant de sortir de cette logique pour commencer à parler. Plus proche d’une esthétique de l’hybridation puisant dans la culture populaire, Mark Pearson reprend un mot allemand utilisé dans la langue anglaise — «vokuhila», désignant la coupe de cheveux «mulette»— pour donner forme à un totem où se mélangent éléments de décoration dérivés du folklore germanique (armature en bois noir, tasses de bière, plats décoratifs). Pas un goût du kitsch, déjà assimilé, mais une sorte d’ethnographie du goût touristique, avec un humour qui désamorce les divisions sociales et culturelles. Moins chargée, l’explosion en polystyrène de Matt Franks (Fooooom!!!), le plus connu des neuf artistes, transpose le vocabulaire de la bande-dessinée en 3D, s’inscrivant dans l’actuel regain d’intérêt pour une sculpture composite, qui ne s’interdit rien, tout en dialoguant avec l’histoire de l’art. La surprise vient d’Abigail Reynolds qui expose Mount Fear, immense paysage de montagnes en carton, maquette devenue sculpture. Elle s’intéresse à des lieux investis de fictions produites par la culture pour renouveler l’approche plastique du paysage. Cette montagne de la peur n’existe pas dans la géographie — elle représente une carte horizontale des statistiques de la criminalité de l’est de Londres. Pour Reynolds, la nature n’existe pas en soi, mais dans les représentations culturelles et l’expérience qu’on en fait. Faisant du sentiment d’insécurité un paysage, elle réinterprète l’image romantique de la nature en rapport avec l’urbanité contemporaine.
Mind the gap à la Galerie de la Friche
(1) Les artistes proposés par les commissaires Alicia Paz et Sandra Patron sont eux aussi issus du très réputé Goldsmiths College, mais à l’instar de Liam Gillick ou Matthew Higgs, font preuve d’autonomie dans l’organisation de leurs propres expositions

Monique Deregibus (Ateliers d'Artistes)
Photographe et/ou Artiste
Actualité de la photographie, entre le centre d’art et Internet, l’approche documentaire et l’art contemporain
Un malentendu. Les frontières entre la photographie et l’art contemporain subsistent-elles malgré tous les beaux discours de la pluridisciplinarité? Dominique Baqué, critique pourArt Presset avocate de la photo « plasticienne », s’oppose à une histoire autonome du médium pour l’intégrer pleinement dans le champ plus vaste de l’art(1). A Marseille, au-delà des noms de Valérie Jouve, Antoine d’Agata ou Bernard Plossu, ces deux territoires semblent s’ignorer et les photographes ont fini par constituer leurs propres circuits de circulation. Le plus (re)connu des lieux «spécialisés», l’Atelier de Visu, ouvre la semaine prochaine une exposition en forme de carte blanche aux éditions Filigranes. Créée il y a seize ans par Patrick Le Bescont, cette originale maison d’édition défend le croisement de l’image avec l’écriture, collaborant avec des écrivains et des poètes pour réaliser des livres-objet à chaque fois uniques. Exploitant les possibilités de l’édition de façon audacieuse, l’artiste intervient dans la recherche d’une mise en forme pour ses images, avec une attention particulière accordée à la dimension matérielle et palpable des œuvres. Rien n’est impossible: livre accordéon, mélanges de papier différents, adhésifs, emboîtages, livres postaux, latex, reliures à la chinoise... Autre projet à avoir vu le jour, Bruit d’Image, revue sur Internet (www.bruitdimage.com) créée par Olivier de Sépibus, réunit un ensemble représentatif de la nouvelle génération de photographes installés à Marseille (Pascal Grimaud, André Mérian, Anne Delrez, Stéphanie Têtu ou Stéphanie Majoral). Dans le panorama un peu sinistré des projets éditoriaux palpiblèmes de distribution et apporte un nouveau souffle au format revue, introduisant le diaporama d’images et la création sonore. Les Ateliers d’Artistes poursuivent quant à eux un travail de diffusion de la photographie contemporaine dans un cadre institutionnel, avec l’exposition de Monique Deregibus(2). Pour l’artiste, les enjeux politiques du Vieux Continent passent par la Méditerranée. Hôtel Europa est une réflexion en images à travers trois villes reliées par la métaphore du port: Sarajevo, Odessa et Marseille. Les traces d’un paysage urbain en ruine glissent d’une ville à l’autre sans qu’on puisse déterminer s’il s’agit de construction ou de déconstruction. Son travail classique de composition formelle rend sensible la violence sourde au cœur même des villes. A Sarajevo, les cicatrices de la guerre sont encore perceptibles sur la peau des immeubles, se juxtaposant à de grands panneaux publicitaires de multinationales. Un territoire désorganisé qui peut rappeler Marseille dans le constat d’une crise de l’urbanité – le paysage serait devenu un non-lieu et l’humain est à la fois hors champ et partout. Cependant, à force de constater avec cette netteté radicale, n’y aurait-il pas la possibilité d’invention d’un territoire ? L’espace fictionnel nous arrive par Odessa, où l’artiste met en correspondance un champ-contrechamp des célèbres escaliers monumentaux du Cuirassé Potemkineet un extrait du film, associant la mémoire des lieux à l’imaginaire cinématographique. Si la force politique du film d’Eisenstein est dans la manipulation qu’il fait du montage, Deregibus préfère la mise à distance pour agir sur le temps long de la mémoire. A l’autre bout de la planète photo, l’iconoclaste Stephen Wilks organise une de ses marches-performances, intitulée Anes Voyageurs(un projet déclencheur de situations où il promène sur son dos un âne en feutre rembourré) avec départ ce samedi à la Joliette et arrivée à la galerie La Tangente du Marché aux Puces. Là aura lieu une exposition, en collaboration avec le FRAC et Art’ccessible, à partir de ses dispositifs de participation, avant qu’il ne soit l’objet d’un large panorama l’année prochaine à la Villa Arson.
(1) Dans son polémique dernier livre, Photographie plasticienne: l’extrême contemporain, elle fustige aussi bien l’esthétique du banal (quand celle-ci croit pouvoir restituer un réel spontané), que l’omniprésence de l’intime (accusée d’un repli sur soi autarcique), pour constater un renouvellement d’une image documentaire plus attentive à l’imagination et à la forme
(2) Elle a dirigé avec Olivier Menanteau les Ateliers Nadar, une galerie essentielle des années 90 à Marseille. Cette exposition fera l’objet d’un catalogue avec des textes de Jean Luc Nancy, Jean-Pierre Rehm et Zahia Rahmani

Play-list 2004
Travelling sur quelques artistes marquants de cette année:
Carsten Höller (Mac)
Une expérience troublante que nous fait redécouvrir l’espace du musée. Et nous y perdre, une fois que tout est dédoublé. L’artiste allemand déploie ses «machines à confusion», entreprise visant à nous faire douter de la perception du «réel». L’accueil pour le moins enthousiaste de la critique internationale n’a pas suffi à convaincre la Ville du rôle essentiel d’un musée d’art contemporain? L’année 2005 s’annonce inquiétante: reprise de la collection pendant l’année, avant la rétrospective de l’artiste marseillais Jean-Louis Delbès — un coup d’arrêt inconcevable à l’orientation internationale et cohérente de sa directrice Nathalie Ergino. Est-ce que son projet de développement peut prendre forme dans une structure municipale fonctionnarisée et sans autonomie artistique et budgétaire? Il est urgent qu’on restructure le statut d’un musée d’art vivant, qui ne saurait être géré de la même manière que le patrimoine.

Xavier Veilhan (Fondation Vasarely, à Aix)
C’était le démarrage d’une année exceptionnelle pour l’un des plus brillants artistes contemporains français. Le FRAC organisait cette mise en espace de ses Lights Machines, véritable cinéma d’ampoules entre abstraction et figuration.

Pierre Ardouvin (Red District et Triangle)
Cette exposition du FRAC, passée un peu inaperçue en début d’année, a trouvé le contexte idéal pour les œuvres sensorielles de l’artiste — une voiture brûlée tournoyante dans le «stand» de la Friche ou le bal guinguette douce France en décomposition accélérée nous plongeaient dans un angoissant univers nostalgique en écho à l’actuel repli identitaire.

Alexandre Périgot (Sextant et Plus, à la Friche)
En plus de l’expo, le phénomène hilarant et boule-de-neige produit par le concours Air Guitar. Pas étonnant de la part d’un artiste qui s’attaque à la déconstruction de la machinerie du grand spectacle. La maison d’Elvis, à l’échelle identique de l’original, nous donnait l’impression inévitable d’une déception face à la mise à nu des structures du mythe.

Jason Glasser (Triangle, à la Friche)
L’univers envoûtant de l’artiste-musicien new-yorkais nous plongeait dans une fable mélancolique de chasseurs, centaures, paysages de western et animaux mélodramatiques.

Björn
Dahlem (Frac)
Ce jeune Berlinois s’est révélé un sculpteur surprenant qui s’intéresse à la science avec les outils de l’art, transformant la science-fiction en des constructions précaires extrêmement subjectives.

Olivier Millagou (Ateliers d’Artistes)
Une exposition conçue comme un polar, un jeu de piste. Le côté gentiment superficiel de son travail précédent ne laissait pas deviner ce goût malsain de l’obscurité et l’envie de frustrer l’attente de spectaculaire du spectateur. Dans cette énorme salle plongée dans le noir, combien ont su trouver la clé? Les Ateliers d’Artistes de la Ville poursuivent un travail défricheur grâce à Thierry Ollat, confronté à des conditions budgétaires et structurelles incompatibles avec la dynamique d’un lieu conçu comme un outil pour les artistes.

Zbigniew Libera (Galerie RLBQ)
La subversion politique là où on ne l’attend pas. L’artiste polonais agit comme un virus à l’intérieur même des grands médias, avec des mises en scènes photographiques qui rendent encore plus obscènes la manipulation du réel et de l’Histoire par les images.

Alain Rivière (Astérides, à la Friche)
Dans le cadre de l’exposition thématique autour de l’accident et autres désastres, l’artiste rebondissait avec une ironie très singulière dans le maniement du texte et de la photo, en parallèle d’une vidéo avec les maquettes des expositions qu’il aurait pu faire, sorte de manifeste pour l’appropriation des moyens de production de l’art.

72 projets pour ne plus y penser (FRAC)
Un livre en forme d’exposition impossible(1), inégal mais dessinant la spécificité du FRAC PACA: loin d’être un centre pour l’art «régional», chaque FRAC a dessiné une ligne éditoriale sans limites territoriales. L’orientation d’Eric Mangion a mis en place un chantier modulable privilégiant la notion de projet en cours, d’oeuvre évolutive, de processus de travail en réagencement permanent.
(1) Avec quelques-uns des plus intéressants artistes de Marseille : Gilles Barbier, Emmanuelle Bentz, Berdaguer et Péjus, Marc Boucherot, Denis Brun, Frédéric Clavère, Francesco Finizio, Serge Le Squer, Saverio Lucariello, Pierre Malphettes, Guillaume Pinard, Marc Quer, Sandrine Raquin, Alain Rivière ou Olivier Tourenc

lundi 17 mars 2008

la Biennale du Whitney 2008 (4)

Phoebe Washburn, While Enhancing a Diminishing Deep Down Thirst, the Juice Broke Loose (the Birth of a Soda Shop) (2008)

Dernier retour critique sur la Biennale du Whitney avec l'avis tranchant du très influent critique Jerry Saltz, titré "When Cool Turns Cold", soulignant qu'elle a le défaut d'être "trop intelligente".

"The Art School Biennial. Not because the art in the new Biennial is immature or because the artists all went to art school—although I bet they did—but because it centers on a very narrow slice of highly educated artistic activity and features a lot of very thought-out, extremely self-conscious, carefully pieced-together installations, sculpture, and earnestly political art.

These works often resemble architectural fragments, customized found objects, ersatz modernist monuments, Home Depot displays, graphic design, or magazine layouts, and the resultant assemblage-college aesthetic, while compelling in the hands of some, is completely beholden to ideas taught in hip academies. It’s the style du jour right now. (It also promises to become really annoying in the not too distant future.)"

"Like many young curators, Huldisch and Momin are more cerebral than they are visual, and this show feels very, very controlled. The art and its presentation are orderly and methodical. Viewed over time and on repeated visits, the works develop interesting interrelated cross-conversations. But the circumspectness and consistency mean there are few moments that stop you in your tracks, confuse, delight, set your nerves on end, or provide moments of “What is this?” There’s little that’s overtly sexual, shocking, angry, colorful, traditionally beautiful or decorative, almost no madness or chaos. The show doesn’t alchemically add up to more than the sum of its parts.

Huldisch and Momin assert that current art is exploring what Samuel Beckett called “lessness,” and that it’s in a “do-over” phase. Huldisch writes that artists are working in modes of “anti-spectacle” and “ephemerality,” and employing “modest, found, or scavenged materials.” Momin adds that the do-over “creates an unfixed arena of past possibilities,” and that artists “think viral, act viral.” I’m not sure what that means, but it may be her curatorspeak way of saying that artists are working together and off one another, and that they’re making use of the open-source systems, self-replicating strategies, and decentralized networks of our YouTube-MySpace world. These things are changing the look of art, and of cattle calls like the Biennial. Or they’re starting to, anyway.

It’s clear the curators only have eyes for installation, sculpture, and video. There are 81 artists in this show, only seven of them painters by my count. Four of them—Olivier Mosset, Robert Bechtle, Mary Heilmann, and Karen Kilimnik—have been lauded for years. The youngest painter, Joe Bradley, 32, contributes three works that are boring, puckered versions of Ellsworth Kelly. These curators seem to think that painting is incapable of addressing the issues of our time or that it’s passé. I suspect Momin and Huldisch didn’t want to include painting at all. Although that kind of academic orthodoxy is moth-eaten—a medium has potential until the ideas it addresses are exhausted—it’s a shame they didn’t go all the way with that notion. A No Paintings Biennial would’ve at least made everyone hysterical.

On the upside, Momin and Huldisch should be congratulated for mounting a thoughtful show that, while academic, is neither dogmatic (painting/photography dis notwithstanding) nor sprawling (recent biennials have been crammed with over 100 artists) nor sexist (about 40 percent of the artists are women, which may be a Biennial record).

Critics have already called this show both pro-market and anti-market. It’s neither, and it takes the position that most artists take: The market isn’t the point. Given that the consistency of the show means that the art tends to blend together, the things that stand out do so because of qualities like color, scale, or outright oddness, rather than for their preapproved art-world signifiers."

Il choisit de mettre en avant les oeuvres de Mika Rottenberg ("something like an animal language of images. You don’t know whether to think"), Phoebe Washburn ("sprawling sculpture/termite tower/ greenhouse"), Cheney Thompson, et Jedediah Caesar, pour leur qualité à se rendre indéfinissables. "Their art throws viewers “don’t ask” visual curveballs. (...) It’s a welcome change to be lowered into the trapdoors of perception this way."

"That kind of engaging strangeness is at work in the best films and videos on view."
ex.: Omer Fast ("outstanding"), Natalia Almada ("the sadness turns outlaw"), Amie Siegel ("a subtler rupture").

"The three most effective films in the show are the craziest. In them you sense humanity tugging on the bit, mired in uncontrolled emotions."
-Coco Fusco’s indoctrination into the interrogation techniques of the U.S. military;
-Olaf Breuning’s treatise on hapless American ecotourism;
-Harry Dodge and Stanya Kahn’s wild woman walking around L.A. with Viking horns on her head and a hunk of fake cheese under her arm.

Pour échapper à "l'esprit de sérieux d'école d'art" qui domine la Biennale, il conseille de commencer par les performances et installations proposées au Armory:
"I’ve seen outstanding performances by the legendary “loser” Michael Smith in which he dressed in a baby diaper and interacted with audience members, Gang Gang Dance playing a twenty-minute set of tribalistic trance music from behind a huge mirror, and, best of all, Marina Rosenfeld’s Teenage Lontano, in which she had 40 teenagers from New York public schools stand in a long line as they sang the vocal section of György Ligeti’s 1967 Lontano, a piece of modernist music from the 2001: A Space Odyssey era. Watching this piece, I felt the opening of a portal between a failed utopian past and the possibility that the more real present is already something to love. I was transported."

"This show comes at a restless, discontented moment. Institutional critique has become an institutional style, and the socioartistic movement known as “relational aesthetics”—that is, art that’s all about your own relationship to being in public with it—has gone mainstream. Most in the art world want more than that. They’re longing for art to be more than just a commodity or a comment on art history. They yearn for a less quantifiable, more vulnerable essence, perhaps what Lawrence Weiner called, “the eternal little surprise of Well, is it art?” I still have faith in Momin and Huldisch, but while some of the art in their biennial has this essence, much of it simply looks like what art looks like these days."

jeudi 13 mars 2008

Yes, No & Other Options (Jan Verwoert)

I can, I can’t, Who cares
Jan Verwoert
How can we address the current changes in our societies and lives? Some have said that we have come to inhabit the post-industrial condition. But what could that mean? One thing seems to be sure: after the disappearance of factory work from the lives of most people in the Western world, we have entered into a culture where we do no longer just work, we perform. We need to perform because to do so is what is asked of us. When we choose to make our living on the basis of doing what we want to do, we need to get our act together, we need to get things down, in any place at any time. Are you ready? I ask you and I am sure that you will be as ready as you will ever be to perform yourself, do things and go places.
Who is we? This group is ever expanding. It is us, the creative types who have created jobs for ourselves by exploring and exploiting our talents to perform small artistic and intellectual miracles. It is us, the socially engaged who create communal spaces for others and ourselves by performing the roles of interlocutors in and facilitators or instigators of processes of social exchange. When we perform we create concepts and ideas as well as social bonds and forms of communication and communality. Thereby we create the values that our society is supposed to be based on today. The Deutsche Bank currently sum up their company philosophy in a simple slogan (formulated in a symptomatically a-grammatical international English): A Passion to Perform (you have a passion for something but never to realise an end through actions. wisdom of grammar). So which side of the barricades are we on then? Where do the barricades stand today, anyway? We are the avant-garde but we are also the jobslaves. We serve the customers who consume the communication and sociability that we produce. We work in the kitchens and call centres of the newly opened restaurants and companies of the prospectively burgeoning new urban centres of the service society. To offer our services we are willing to travel. Being mobile is part of our performance. So we travel, we go west to work, we go north to work, we are all around, we fix the minds, houses and cars of those who stay in their offices. What do we feel about ourselves and our lives? Are we happy? Are we in charge? What pain and what pleasure are we experiencing in the lives we have created for ourselves?
I can’t
What would it mean to put up resistance against a social order in which performativity has become a growing demand, if not a norm? What would it mean to resist the need to perform? Is ‘resistance’ even a concept that would be useful to evoke in this context? After all the forms of resistance we know are in fact usually dramatic performances themselves. Maybe we should rather consider other, more subtle forms of not performing, of staging as the Slovakian conceptual artist Julius Koller called them ‘anti-happenings’. What silent but effective forms of unwillingness, noncompliance, uncooperativeness, reluctance or non-alignment do we find in contemporary culture when it comes to inventing ways to not perform how and when you are asked to perform?
Can we ever embrace these forms of non-performance in art and thinking as forms of art and thinking? Or do we always find ourselves on the other side of the barricade, together with the performers and those who want to get things done and get enraged by people who stand in our way by being slow, sluggish and uncooperative. After all is not uncooperativeness the revenge uncreative people take on the society of the creative by stubbornly stopping it in its tracks? Have you ever found yourself screaming (or wanting to scream) at an uncooperative clerk behind a counter: “I haven’t got time for this.” – only to realise that, yes, he has time for this, an entire lifetime dedicated to the project of stopping other people from getting things down? These people work hard to protect society from change by inventing ever new subtle ways to stop those in their tracks who want to revolutionise it. Are they the enemy? Or are they today maybe the strongest allies you may find when you want to put up defences against a culture of compulsive performativity?
But does it have to take other people to make you stop performing? When and how do you give up on the demand and need to perform? What could make you utter the magic words ‘I can’t’? Does it take a breakdown to stop you? Do the words I can’t already imply the acknowledgment of a breakdown, a failure to perform, a failure that would not be justifiable if your body would not authenticate your inability by physically stopping you? How could we restore dignity to the ‘I Can’t’? What ways of living and acting out the I Can’t do we find in art and music? Was that not what Punk for instance was all about? To transgress your (musical) capacities by rigorously embracing you incapacities? To rise above demands by frustrating all expectations? When the Sex-Pistols on one of their last gigs, when it was practically all over already and the band simply could no longer get their act together, Johnny Rotten turned to the audience and asked “Do you ever feel you have been cheated?” Would that be a question to rephrase today? If so, how? There are ways of confronting people with the I Can’t that put it right in their face. But maybe there are also other means of making the I Can’t part of a work, of putting it to work, means that art and poetry have always used, namely by creating moments where meaning remains latent. To embrace latency goes against the grain of the logic of compulsive performativity because it all about leaving things unsaid, unshown, unrevealed, it is about refraining from actualising and thereby exhausting all your potentials in the moment of your performance. We have to re-think and learn to re-experience the beauty of latency.
What is the time?
Performance is all about the right timing. A comedian with a bad sense of timing is not funny, a musician useless. Career opportunities, we are told, are all about being in the right place at the right time. Finding a lover to love maybe also is. Is there a right time for love? Stressed out overworked couples are advised these days to reserve ‘quality time’ for each other to prevent their relationship from loosing its substance. What is quality time? “Is it a good time for you to talk?” people will ask you when they reach you on your mobile. When is a good time to talk? We live and work in economies based on the concept of ‘just in-time-production’ and ‘just in time’ usually means things have to be ready in no time at all, urgency is the norm. ‘I haven’t got time for this!’ the just in time producer will shout at you when you are not on time and make him wait.To be in synch with the timing of just in time production you have to be ready to perform all the time. This is the question you must be prepared to answer positively: Are you ready? Always. Ready when you are. As ready as I will ever be. Always up for it. Stay on the scene. Porn is pure performance. Impotence is out of the question. “Get on the fucking block and fuck!” is the formula for getting things down. Frances Stark recently quoted it to me when we talked about the culture of performance. She got the sentence from Henry Miller and included it in one of her collages.
What happens when there is a lapse of time, when time is out of joint. Are we not living in times now when time is always radically disjointed as the ‘developed’ countries of the first world a pushing ahead into a science fiction economy of dematerialised labour and virtual capital – while it at the same time pushes the ‘developing’ countries centuries back in time by sourcing work out to them and thereby also imposing working conditions on them that basically date back to the days of early industrialisation? Sometimes the time-gap doesn’t even have to span centuries, it might just be years as some of countries of the former East (like Poland for instance) are rapidly catching up to the speed of advanced capitalism, but still not rapidly enough. Migrant workers bridge this gap in time. They travel ahead in time to work in the fast cities of the West and North. Yet, they face the risk of any time-traveller as they loose touch with the time that passes while they are away. Will they ever find back into their time or learn to inhabit the other time of the other country. How much time-zone can you inhabit? Who is to set the clock and make the pace according to which all others are measuring their progress? “Que horas sont a Washington?” sings Mano Chao and it may very well be the crucial political question of this moment.
I can
But would to embrace the I Can’t mean to vilify the I Can? Why would we ever want to do that? After all the joy of art, writing and performing freely lies in the realisation that you can, a sense of empowerment through creativity that in ecstatic moments of creative performance can flood your body with the force of an adrenaline rush. And then living out the I Can is not just a cheap thrill. To face up to your own potentials might be one of the most challenging tasks of your life if not even your responsibility. Giorgio Agamben speaks about the pleasure and terror of the I Can in this way. He refers to an account by the Russian poet Anna Akhmatova who describes how it came about that she became a writer. Standing outside a Leningrad prison in 1930 where her son was a political prisoner, another woman whose son was also imprisoned, asked her: Can you write about this? She found that she had to respond that yes, indeed she could and in this moment found herself both empowered and indebted.
Today it seems most crucial to really understand this link between the empowerment and the debt at the heart of the experience of creative performance. In what way are we always already indebted to others when we perform? In what way is it precisely this indebtedness to others that enables us to perform in the first place? Could an ethics of a different type of performance – one that acknowledges the debt to the other instead of over-ruling it hectically to improve the efficacy of performance – be developed on the basis of this understanding? How could we perform differently? Freely? In his film Theorema Passolini draws up a scenario of unleashed performativity. A factory owner hands over the factory to the workers. His obligations to work have thereby come to an end. In the villa of the factory owner a young man arrives, he has no personality or features except for the fact that he is a charming lover. He sleeps with all members of the family and leaves again. Disconnected from work and freed by love all family members start to perform: The son acknowledges he is gay and becomes a painter. The daughter decides to never move nor speak again. The mother cruises the streets and sleeps with strangers. The housemaid decides to not commit suicide, instead she becomes a saint, starts to levitate and cure sick children. The factory owner himself decides to take his clothes off in the main train station and walk off into a nearby volcano. All of these actions remain uncommented and they are presented as all having the same value as they are equally possible and the possibility of each of these performances does not nivellate or relativise the possibility of any other. Passolini thus describes a situation where the end of work and the arrival of love creates the possibility for a radical co-existence and co-presence of liberated performances which are not forced under the yoke of any single dominant imperative to perform in a particular way. How could we create and inhabit such a condition of undisciplined performativity?
Who Cares?
To recognize the indebtedness to the other as that which empowers performance also means to acknowledge the importance of care. You perform because you care. When you care for someone or something this care enables you to act because you feel that you must act, not least because when you really care to not act is out of the question. In conversation Annika Eriksson recently summed this point up by saying that, as a mother when your child is in need of you ‘there is no no’. You have to be able to act and react and you will find that You Can even if you thought you couldn’t. Paradoxically though, the I Care can generate the I Can but it can also radically delimit it. Because when you care for yourself and others, this obligation might in fact force you to turn down offers to work and perform for others, in other places, on other occasions. When the need to take care of your friends, family, children or lover will come between you and the demand to perform, to profess the I Can’t (work now, come to the event) may then be the only justified way to show that you care. Likewise the recognition that you are exhausting yourself and need to take care of yourselves can constitute a reason to turn down an offer to perform and utter the ‘I Can’t’. So from the I Care both the I Can and the I Can’t may originate. The I Care is the question of welfare. In the historical moment of the dismantling of the welfare state this is a pressing question. In a talk Jimmy Durham cited two people he had met in Italy as saying: “We are liberated. What we need now is a better life.” Maybe this is indeed the question: How do we want to deal with the potential of living life caring for yourself and others by negotiating the freedom and demands of the I Can and I Can’t in a way that would another form, another ethics another attitude to creative and social performance possible?

Tomma Abts, Michal Budny, Phil Collins, Andrew Cooke, Kerstin Kartscher, Silke Otto-Knapp, Július Koller, Jiri Kovanda, Ruth Legg, Hilary Lloyd, Deimantas Narkevicius, Ines Schaber, Sean Snyder, Frances Stark, Mladen Stilinovic, Esther Stocker, Nasrin Tabatabai, Wolfgang Tillmans, Tsui Kuang-Yu, Gitte Villesen, Eveline Van Den Berg, Ryszard Wasko, Ryszard Wasko, Nicole Wermers, Xu Tan, Katie Davies, Annika Eriksson, Tim Etchells, Tim Etchells & Vlatka Horvat, Host Artist's Group, Janice Kerbel, George Henry Longly, Roman Ondak, Kirsten Pieroth, Paul Rooney, Dexter Sinister, Esther Stocker, Neil Webb, Katy Woods, Kan Xuan