jeudi 23 avril 2009
Grégory Cuquel
L’univers de la musique a une capacité saisissante à fétichiser les objets, allant d’une couverture d’album vinyle à la marque d’une guitare électrique, ce qui s’accompagne, dans un même mouvement, par un certain attrait dans leur mise à mal, voire leur destruction (en leur faisant subir l’effet de feed-back ou en les brûlant sur scène). Grégory Cuquel semble évoquer l’univers de la musique électrique moins dans une transposition de son iconographie, qu’à travers l’énergie imprimée à son processus de travail.
Dans Marina Bay, la forme d’un volcan est ainsi le prétexte à la mise en scène fulgurante de matériaux, à l’explosion de couleurs et à l’assemblage contradictoire de techniques. Sur l’un des côtés de la sculpture est incrustée une sorte de porte, dénonçant l’ambiguïté de cette sculpture, devenue partie intégrante du décor d’un «opéra théorique» (réalisé en collaboration avec Benjamin Seror). Le principe d’un art total est ici toutefois composé de fragments, selon une dynamique qui évoque celle du rapport d’une île au volcan, quand celui-ci détruit autant qu’il construit, reliant le centre de la Terre à sa surface.
Ce principe de la sculpture-décor est aussi développé dans une autre installation combinant un rocher, une plante basse, un guidon de mobylette, des tiges de métal et une palissade faite avec du plexiglas coloré : l’ensemble dégouline de couleurs luisantes et est recouvert de paillettes, verni ou résine, tout en jouant de la transparence. Le titre coup de poing (Palissade # tout le monde l'a baisé sof toi..., clochard) vient déclencher une dimension narrative, induisant une sorte de transpiration qui renvoie à des plans cul dans les parkings, à des virées adolescentes dans les terrains vagues, laissant au visiteur la place ambiguë du voyeur.
L’artiste recycle en permanence ses anciennes sculptures, «une espèce de retour à l'atelier mais dans la sculpture même», de la même façon qu’il semble digérer, plutôt que détourner, différents matériaux de la culture pop. Il est d’ailleurs devenu problématique de définir la notion de « pop », tant ses usages diffèrent, surtout au moment où la question de la haute et de la basse culture a été digérée par d’autres approches, à l’instar des cultural studies, qui s’éloignent d'une stigmatisation de la culture de masses. Plutôt que d’envisager la culture populaire comme un magasin de signes, sa dimension la plus prégnante pourra alors se situer dans l’exploration de ses marges où l’inconscient social se modèle et se transforme. «Je suis un Robinson qui reconstruit de mémoire un background culturel.»
Dans Cercle Pit, il emprunte ses matériaux dans le backstage de la culture heavy metal, explorant la faculté d’un objet à activer la mémoire. Ainsi, une double pédale est customisée de deux sphères de cristal, tandis qu’un M emprunté à l’iconographie du groupe Metallica est recouvert d’une couche de vernis le transformant en «meuble de piscine», posé à côté d’une photo avec un personnage en tenue de bodyboard et maquillé pour un concert de death metal (dans une esthétique rappelant les blogs teenagers).
Dans ses installations, le plus troublant concerne le paradoxe entre le goût pour une musique anarchique et le caractère étudié et précieux de ses codes et de son iconographie. Ce jeu de rôles trouve une traduction formelle dans des œuvres où leur caractère brut et inachevé, comme directement sorti de l’atelier ou d’un garage pour les répétitions, se dispute à la surbrillance, au maquillage et aux couleurs d’un music hall. Dans un certain sens, les sculptures de Grégory Cuquel semblent vouloir jouer de la capacité de la musique à produire de l’«aura» et à projeter des icônes, confrontant leur séduction et leur romantisme à l’entreprise de déconstruction de ces principes (voire leur démolition) menée par la modernité de l’art.
Pedro Morais, mars 2009
Nicolas Tourre
Pour les artistes voulant s’emparer aujourd’hui de l’abstraction, il est inévitable de s’interroger attentivement sur l’opération qu’ils déclenchent vis-à-vis des positionnements engagés dans cette voie par le passé. Coincée entre la citation-hommage et le détournement ironique (qui constate son assimilation par le design), l’abstraction semble n’en pas finir de faire son deuil. Cependant, à l’image du travail d'artistes comme Dan Walsh ou Wade Guyton, l’abstraction entretient des potentialités qui ne forcent pas à tenir des proclamations sur la fin des aspirations modernistes, ou à transformer les expériences passées en simple répertoire de formes à emprunter. Si l’opération reste délicate, il est tout aussi inopérant de limiter la réactivation des formes abstraites au commentaire sur l’échec d’artistes investis dans le récit d’un «progrès».
L'intérêt de Nicolas Tourre pour l’abstraction, concerne d’abord l’envie de se concentrer sur les propriétés de la peinture, sans pourtant adhérer à l’étanchéité du formalisme. Ses réponses s’éloignent à la fois de l’ironie post-moderne des années 80 - celle de John Armleder ou Bertrand Lavier -, et de l’anti-modernisme des néo-expressionistes de la même période. Sa façon d'exprimer et expérimenter un rapport au monde peut autant passer par des actes brutaux infligés aux tableaux (en tirant des coups de fusil), que par leur travestissement dilettante (affublé de pierres précieuses ou de plumes). Il semble emprunter une voie trouble entre le détachement dandy et le romantisme pré-moderne. Loin d’un effet nostalgique, il transfère l’actuelle indétermination de genre dans le champ de la peinture, empruntant des modalités presque camp.
Cherchant à sortir de la planéité du cadre du tableau, tout comme en refusant son assimilation à l’image, il expérimente formats et textures selon un principe de jeu qui corrompt toute règle de composition, ou assume leur permanence comme un artifice à réinvestir. Ce désir d'échapper au médium passe aussi par le choix de certains objets-matériaux (pâte à modeler, raquette de beach ball) qu'il qualifie lui-même de « grotesques », ainsi que par un intérêt vis-à-vis de pratiques amateur d'arts décoratifs.
Certains éléments empruntés à l'abstraction géométrique se trouvent ainsi mélangés à l'exercice répandu des jeux d'optique, parfois perturbés par l'irruption de certains accessoires associés aux loisirs. Des raquettes de ping-pong ou des balles de plage, mais aussi le motif des papillons, des méduses, des vagues ou d’un coucher de soleil, semblent alors refuser une certaine doxa puritaine de la peinture - celle qui cherchait absolument à légitimer la pratique artistique comme un « travail » - pour emprunter des routes secondaires, débordantes et improductives comme les vacances.
Pedro Morais, mars 2009
lundi 20 avril 2009
Clément Laigle
«Il n’est pas possible d’échapper à l’architecture, de la même façon qu’il n’est pas possible d’échapper au langage» - ce constat de Clément Laigle est le point de départ d’une démarche qui cherchera alors à produire des «aberrations de l’espace», recomposant ses volumes, jouant de l’adaptation ou niant son organisation. Difficile ici de distinguer les frontières entre la sculpture et l’installation, tant les architectures qu’il construit (en déconstruisant celles où il intervient) sont des mises en forme indissociables des espaces qu’il investit. En obstruant partiellement des passages, ou en modifiant sensiblement les systèmes d’éclairage, il cherche à déjouer le conditionnement sous-jacent à l’imbrication des limites d’un lieu avec sa perception inconsciente.
Dans une série d’œuvres in situ, il trouble la position du regard, le plaçant à l’extérieur de l’œuvre quand on croit pourtant y avoir accès. Cela peut signifier l’installation d’un pan de tôle en acier obstruant des fenêtres, sorte de palissade paradoxalement tournée vers l’intérieur (Lewis, 2008), ou l’impression que des cloisons cachent la lumière extérieure, équipées de néons auquel on n’a accès que par réfraction (Sans titre, Kreuzberg, 2007). Où se situe alors l’envers et l’endroit du décor ? L’architecture n’est plus l’enveloppe de l’exposition mais son matériau même, prolongée par l’utilisation dans ses œuvres de matériaux industriels liés à la construction ou à l’aménagement d’intérieur (panneaux d’aggloméré, cloisons, néons) et laissant à vue l’artifice de l’intervention (des trous permettant le passage des fils électriques).
La transition entre le jour et la nuit, ce moment qui nous fait hésiter entre la lumière naturelle et la lumière artificielle, est rendu encore plus indiscernable dans une installation où deux panneaux éclairés par des néons sont placés autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la galerie, amplifiant le caractère indistinct de leur fonction au moment de l’aube ou du crépuscule (Sans titre, Rodney Mullen, 2006). Dans un mouvement parallèle, la photo d’une énorme palissade installée contre la façade d’un immeuble avec, entre les deux, un système d’éclairage de néons, semble vouloir faire disparaître la nuit à l’intérieur du bâtiment (Kasimir, 2007).
Cette réversibilité est aussi explorée lors d’une intervention dans un préau où l’artiste construit des couloirs avec des panneaux en bois éclairés en permanence par des néons (Vince, 2008). Il n’est alors pas étonnant que Clément Laigle cherche à renverser de façon ironique le principe du land art : invité à participer à une manifestation en plein air, il s’emploie à construire des abris pour les œuvres déjà installées, signifiant la contradiction entre leur caractère entropique et l’hypothèse de leur conservation (Das Aldernest, 2008).
Il poursuit la création d’espaces qui déstabilisent le dehors et le dedans, utilisant des palissades de séparation de jardins pour comprimer les dimensions d’une cour extérieure (Neuwall, 2006). Son œuvre se place à l’endroit même d’une relation à l’espace, rendant équivoque notre position (entre acteur, spectateur et figurant), qu’il s’agit toutefois d’habiter. Dans une autre installation, ce qui apparaît comme une accueillante clairière chauffée au feu de bois (des spots halogènes), se renferme aussitôt par une tôle ondulée circulaire, évoquant son titre Between the furniture and the building (2008), expression qui désigne une position intolérable à laquelle il est impossible d’échapper.
C’est ainsi que ce corps refoulé par l’architecture surgit, de façon à la fois insinuée et radicalement exposée, dans une série d’images extraites de revues porno recouvertes de formes géométriques inspirées des colombages architecturaux.
Pedro Morais, mars 2009
dimanche 19 avril 2009
Julien Pastor
Le logement social a parfois été un terrain formidable d’expérimentation sur les possibilités d’habiter ensemble, interrogeant les notions de propriété et de commun. Cependant, ces constructions ont pu aussi participer à la production de cauchemars panoptiques, en découplant les modalités d’exclusion et en dévitalisant les hypothèses de participation et d'appropriation de l’espace publique. Plutôt que de se réfugier dans un constat écrasant qui dicterait la fin de certaines expériences dites utopiques, Julien Pastor s’est intéressé de près au travail de Renée Gailhoustet et Jean Renaudie, responsables de la rénovation du centre d’Ivry-sur-Seine pendant les années 70. Ce couple d’architectes a mené une critique féroce de la modernité architecturale, s’opposant aux méthodes de construction des premières villes nouvelles des années 1950-1960. S’ils critiquaient leur principe de séparation rationnelle des fonctions, ils n’ont pas pour autant rejeté leur projet d’émancipation, excluant l'idée de revenir à la ville traditionnelle. Prônant des principes d'imbrication et de prolifération, ils ont diversifié en permanence leurs approches, refusant obstinément de systématiser leur architecture. Julien Pastor contextualise cette démarche par le biais d’un texte, «Architecture continue» (édition du Crédac d’Ivry-sur-Seine), où il remonte à la création des banlieues au XIXème siècle pour décrire l’histoire des rapports entre constructions périurbaines et jardins publics du XIXème siècle.
Dans l’espace d’exposition, il a réactivé le kiosque construit en 1968 à Ivry par Renée Gailhoustet, dont la forme géométrique complexe semble contrarier les lignes rectilignes de l'immeuble en face (1). Pastor transforme toutefois le kiosque en tente individuelle de camping, l'associant au principe d'une architecture éphémère liée au nomadisme et au plein air. Le titre de l’œuvre (L'Ivryenne, 2007) et l’appropriation du format commémoratif de la carte postale (pour perpétuer la mémoire de cette construction tenue pour anodine), signalent l’humour mélancolique qui traverse sa démarche.
Dans une série de collages (Des grands ensembles, 2008), le caractère abstrait de rectangles et carrés découpés en papier noir, s’avère finalement très concret : il s’agit des « plans masses » qui figurent les bases d'implantation d'unités d’habitation construites en France pendant les Trente Glorieuses. Leur organisation rationnelle est toutefois entièrement bouleversée, rappelant un jeu mikado : l’artiste a mis chaque groupe de bâtiments en papier dans une boîte, les mélangeant avant de les faire tomber sur une feuille, introduisant le hasard autant dans l’organisation de l’espace urbain que dans son œuvre.
Cette façon de jouer sur un mode mineur, de déconstruire le « geste » artistique, se retrouve aussi dans Tree diagram (2005), où il découpe de façon rectangulaire toutes les feuilles d’un arbre, introduisant la géométrie dans une « sculpture » organique. En diffusant une sélection musicale de death et black métal, pendant dix jours, auprès d'une plante d’intérieur, il essaye de lui réveiller une sensation de révolte en jouant avec nos croyances animistes (Une plante est une plante, 2005). Dans la performance L'élixir d'amour ou Le spectateur (2008), il se met lui-même à l’épreuve, applaudissant pendant plus d’une heure: il s'agit du reenactment d’une ovation historique faite à Luciano Pavarotti (à la suite de sa prestation dans L’élixir d’amour de Donizetti en 1988), malgré qu'ici puisse manquer autant la cause que le dispositif du spectacle qui légitime ses propres codes.
Un évidemment du signe qu’il applique aussi à la peinture : en effectuant un travail de copiste de certains posters vendus à la sauvette dans les couloirs du métro (Bob Marley, Bruce Lee ou des dauphins), il signale le devenir générique d'images qui naviguent entre l’industrie multinationale de la contre-culture et des mythologies traditionnelles locales. Pedro Morais, mars 2009
(1) Le principe du kiosque actualise une figure classique des architectes paysagistes des Lumières, influencés par les constructions orientales du XVIème siècle.
Thomas Klimowski
Si l’invention de la perspective en peinture a participé à la constitution d'une théorie du paysage, pourquoi les derniers développements de celle-ci n'auraient pas, en retour, influencé les pratiques artistiques? Depuis les années 70, surtout avec les travaux du philosophe Alain Roger, la réflexion sur le paysage a beaucoup évolué : il est désormais évident que la notion de paysage n’existe ni partout, ni toujours, qu’elle est, en somme, une construction culturelle. Thomas Klimowski semble avoir nettement assimilé cette place de la subjectivité sociale dans le rapport au territoire, désignée en sociologie par «géographie des représentations».
Dans l’installation Polonia (2006), le titre est placé comme une enseigne sur une armature métallique, entourée au sol de plaques de bois, des archipels disposés de façon aléatoire. Polonia est un terme tiré des racines latines du mot Pologne, qui désignait la diaspora polonaise éparpillée dans le monde entier à une époque où le pays n’existait plus, annexé par les puissances voisines. L’enseigne désigne ainsi un territoire mental, réunissant les fantasmes d’une mémoire commune, dont les carrés de bois disposés autour fonctionnent comme les pièces dispersées du puzzle. Parmi ceux-ci, une boîte lumineuse donne à voir la photographie d’un échangeur autoroutier, prolongeant le principe d’un non-lieux, d’un horizon commun dont le chemin est moins à retrouver qu’à réinventer.
Ce même principe d’un territoire mental, tel un puzzle fragmenté, se trouve aussi évoqué par J’aimerais revoir les cactus en fleur (2006), composé de toiles de différentes tailles aux tons terre et ocres, tendues par des câbles, composant la métonymie d’un paysage. Ici, le monochrome se trouve paradoxalement associé au principe du point de vue, de la «venduta», revisitant l’abstraction par le biais d’une mise en espace de la représentation cartographique.
Dans Dérives (2006), l’idée de puzzle semble intégrer la vision subjective et mobile apportée à la cartographie par les dernières technologies. La possibilité de déplacer un espace composé de « parcelles » de bois, signifie les mutations d’un territoire et l’artifice des frontières, tandis que la représentation photographique de cette composition vue de haut, à l’image d’une carte, fige la multiplicité de points de vue pour créer l’illusion de contrôler un espace.
Le caractère générique des différents éléments de ce paysage peut évidemment évoquer des compositions picturales de l’abstraction des avant-gardes, mais il ne s’agit plus ici de construire une autonomie interne au tableau mais de signaler la dimension partielle de toute cartographie et le caractère transitionnel de sa signification. Le monochrome assume ainsi un caractère guerrier (dans une autre installation où il les accroche à des lances), face à un contexte social et artistique dominé par l’efficacité du « message ».
Cet épuisement des signes se trouve encore dans Panneaux (2006), où des modules de panneaux publicitaires que l’on trouve sur le bord des routes, dessinent les lignes d’un paysage générique (avec la superposition de couches de bois différents) au caractère cinématographique accentué par l’éclairage en contre-plongée et l’enfilade des panneaux dans l’espace.
Il cherche aussi à mettre à l’épreuve les notions de territoire et de frontière en les transposant sur la géométrie d’un terrain de foot, dont il divise l’un des deux camps successivement à moitié, jusqu’à l’absurde évoqué par le titre (Balkanisme, 2008), lorsqu’un conflit se scinde en de multiples conflits. En convoquant autant les avant-gardes du modernisme que l’imaginaire de la culture populaire, Thomas Klimowski interroge comment la géographie et les limites de sa transposition abstraite (codes couleurs, planéité) peuvent dissimuler une géopolitique.
Pedro Morais, mars 2009
Chloé Dugit-Gros
Affichée au mur, une photo noir et blanc reprise du film Alligator People donne à voir une femme menacée par un mutant à tête de crocodile. Directement sortie de l'imaginaire des monsters B-movies des années 1950, qui connaissaient à l’époque un regain d'adhésion populaire dû à la paranoïa nucléaire (en plein climat de guerre froide), cette image est ici ramenée à sa théâtralité et à sa surface, dans une planéité renforcée par les ombres portées des personnages. La matérialité de l'image est brusquement interrompue par les couleurs de deux sweat à capuche, accrochés aux personnages, la transformant en poster d’une culture contemporaine qui inscrit les produits de l’industrie dans une relecture des liens entre l’histoire culturelle et l’inconscient collectif.
Cette façon d’éloigner les images dans le temps à travers un regard porté sur les transformations de leur technique et texture, dessine en quelque sorte une archéologie de la culture visuelle. La mort de l’homme sandwich (2007) est une photo présentée sur caisson lumineux avec un individu portant des affiches : une modalité publicitaire désormais désuète où le corps venait quelque part intercepter l’efficacité de l’image, effet redoublée par le geste de l’artiste qu’y découpe des formes géométriques donnant au message le caractère abstrait d’une constellation lumineuse.
Dans Sans titre (2008), ce qui ressemble à un immense tableau noir d’école est sauvagement affublé d’une photo montrant un jeune garçon posant fièrement en zorro des rues, avec des gants noirs qui tiennent un couteau. Mais là encore, c’est la théâtralité de l’image qui est mise en évidence (dans le mimétisme de la posture fantasmée d’un anti-héros), et la matérialité de la reproduction (à travers la colle qui dégouline sur le tableau).
Ce goût du low-fi autant que de la low culture, apparaît aussi dans Bach is back ! (2006), une palissade installée entre deux salles où il reste la trace d’affiches arrachées, aux couleurs acidulées rappelant les annonces de dancehalls jamaïcains ou de combats de catch mexicains. Si l’on peut y voir un renversement du geste des affichistes (ici l’attention est portée au vestige), il s’agit aussi de signaler une mobilité entre des pratiques et des références culturelles (la seule affiche épargnée annonce le compositeur Bach), qui constitue aujourd’hui nos identités.
Par le biais d’interventions frontales, proches des modalités du décor, l’artiste s’intéresse à la fonction de l’espace d’exposition dans une installation où le trompe l’œil (une image de cheminée collée sur une structure en bois) et des objets détournés (des tapis de gym rouges) peuvent suggérer une appropriation performative (Gymnastique sur les toits, 2005) qui ne cache pas son artifice. Cette dimension de son travail peut aller jusqu’à introduire une menace de destruction des structures mêmes de l’espace, à l’image de cette cimaise recouverte d’une bâche où l’artiste taggue Do not bulldoze à la bombe aérosol (L’occupation des sols, 2006).
Chloé Dugit-Gros s'est ensuite plutôt tournée vers la déconstruction du travail classique d’atelier, invitant brutalement ses outils à s’exposer. Ainsi, des tables d’atelier découpées et assemblées servent à construire un cheval d’arçon où restent visibles des tâches accidentelles de peinture, dans une mise en parallèle ironique entre le culte de l’effort sportif et la bravoure théâtrale du geste expressionniste. Elle essayera aussi d’isoler les éléments qui constituent le langage du dessin (une pratique qui, avec la maquette, est au départ de la plupart de ses projets) : transformant la cimaise en feuille blanche installée dans l’espace, elle y appose des traits de couleur sous forme d’élastiques (Fils conducteurs, 2008) ou la précipite au sol, tranchée par des tasseaux de couleurs (Matières Premières, 2008). La cimaise peut encore être mobile, sorte de tableau d’école posé sur roulettes, où elle dessine un motif abstrait à la craie, qui renvoie autant à la calculette rudimentaire utilisée pour les scores d’une compétition sportive, qu’à la méthode de travail de l’artiste, allant progressivement d’une multitude de sources vers la mise en forme (L’approche du résultat, 2007).
Ce principe d’une abstraction qui se révèle figurative est encore présent dans une installation composée de formes géométriques aux allures de maquette d’architecture moderniste. Celles-ci s'avèrent être la transposition en volume d’une série de symboles que les voleurs dessinent sur les façades des maisons, indiquant les éventuels dangers à considérer dans une prochaine intrusion (Code des cambrioleurs, 2008). L’abstraction peut ainsi se confondre ici avec un code infiltrant et voyou, échappant à la propriété du sens commun.
Pedro Morais, mars 2009
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