mardi 9 septembre 2008

Peter Friedl (MAC Marseille, 2007)

Work in (for) progress
«Ils pensaient qu’il était un monstre, mais il était le roi», chante Daniel Johnston dans King Kong: le musicien texan connu par sa folk sombre et enfantine, ayant subi de nombreuses hospitalisations psychiatriques et gardant un statut culte dans l’underground US (de Sonic Youth à Larry Clark), ne l’avait jamais interprété en public. Invité par Peter Friedl, il se trouve dans un parc de la banlieue de Johannesburg en Afrique du Sud, et cette délocalisation prend un tournant performatif. Il s'agit de Triomf, l’un des grands ensembles qui a le plus essayé de résister à la ségrégation raciste : c’est saisissant d’écouter ici une chanson, à mi-chemin du défi et de la lamentation, sur King Kong, roi de la jungle tombé amoureux d’une femme blanche et victime (en sous-texte) de la paranoïa raciste. Chez Friedl, l’implicite prime souvent sur la mise en forme : King Kong est aussi un opéra jazz sur l’ascension et la chute d’un boxeur noir, réalisé par les blancs anti-Apartheid à la fin des années 50. A côté du chant de Johnston, une jeune fille noire passe avec un masque de gorille et l’on perçoit un parc pour enfants. Ce sont des motifs récurrents dans son travail. Au cinéma comme au théâtre, les enfants et les animaux sont problématiques, imprévisibles. Ici ils sont, évidemment, partout. Qu’il s’agisse d’un lion s’amusant avec un faux serpent au Kunsthalle de Hambourg, ou des enfants enchaînant les jeux de massacre sur un ballon où est inscrit «Nobody knows science» (Untouched), de nombreux projets pourraient rapprocher Friedl d’une «institutional critique» un peu usée. L’autrichien est néanmoins un fils de l’art conceptuel penchant marxiste, en moins restreint que Hans Hacke, et un percutant dynamiteur de la notion de performance. C’est sur cet aspect que la «rétrospective» devient problématique. Si dans King Kong, la question documentaire est absorbée par une vidéo où l’on retrouve de l’intensité, dans la plupart des autres traces d’actions à l’intérieur des institutions artistiques, le potentiel de subversion semble désactivé. En bon praticien de la dialectique, Friedl intègre cette critique dès le départ et annonce l’impossibilité de mettre en place une rétrospective, ne pouvant exposer que des documents. D’ailleurs, le livre peut apparaître comme le format le plus adapté à certains projets, à l’image de Theory of Justice. Ce work in progress – dont le titre évoque la thèse élaborée par le philosophe John Rawls en 1971 autour d’une rénovation politique des notions de distribution et justice sociale – est constitué d’une archive d’images de presse cherchant à augmenter la visibilité de différentes politiques de résistance. La solution formelle des vitrines reste cependant inopérante et met en lumière une tension à l’œuvre chez Friedl entre le caractère passionnant de ses recherches et des présentations formelles qui ne dispensent pas la référentialité ou le commentaire philosophique. Il est évident qu’on n’est plus à revendiquer pour l’art un quelconque territoire autonome, auto-référentiel, mais il y a déjà des modalités spécifiques et très souvent plus judicieuses de réflexion, analyse et traduction du «réel». La simplicité peut donc être renversante, comme quand le chiffre 68 inversé donne un 89 visuellement parlant. Ou dans le cas de Playgrounds, ce projet monumental où Friedl réunit des centaines de photos de jardins pour enfants du monde entier, échafaudant une sorte de typologie de la planification moderne des espaces urbains : «une scène où se développent les premières expériences publiques, institutionnalisées, pour l’émergence d’une communauté». La géométrie de ces structures confond parfois le jeu et l’exercice militaire et reflètent une sociologie de l’éducation qui sous-tend toujours une représentation de l’enfance. Pour Friedl, il y a là quelques exemples parmi les plus réussis d’art public. Il n’est alors pas question d’abandonner le terrain des projets idéologiques : dans une écriture dessinée au néon, «Nouveau Code de la Route» (Neue Straßenvehrkersordnung) évoque le titre déguisé d’un texte de la Fraction Armée Rouge autour des possibilités d’une action révolutionnaire en Europe occidentale. Le huit qui forme ce néon peut enfin évoquer la nécessité d’une révolution «permanente», rejoignant Friedl dans sa conviction d’une modernité dont le travail est toujours en cours (et sans doute à imaginer). Pedro Morais

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