mardi 15 avril 2008

Quoi de neuf aux beaux-arts de Marseille?

Le moment de présentation des diplômes dans les écoles d'art fonctionne comme un sismographe : l'occasion d'observer les tensions qui traversent le champ artistique, les débats, le changement de paradigmes et de références, tout comme les modes et les discours dominants. Les étudiants sont les capteurs et les acteurs d'une négociation permanente entre leur singularité et la capacité à interpréter ces dynamiques d'ensemble.
J'ai participé au jury blanc des beaux-arts de Marseille pour le diplôme 2008 (DNAP) de troisième année. Qu’est-ce qui se détache de la quarantaine des présentations? D'abord, cette troisième année est nettement moins prégnante au niveau de la sculpture, contrairement à l'impression qui s'était progressivement installée ces toutes dernières années - celle d'une école où la sculpture semblait être le champ le plus dynamique, à l'image de la vitalité qu'elle démontre ailleurs actuellement. Les démarches les plus intéressantes se situent majoritairement du côté du son, de la vidéo et de la photo, tout en se détachant d'une fascination naïve pour le médium technologique, très fréquente dans le domaine des soi-disant "nouveaux médias". Il s'avère plutôt le contraire: ils font marcher des vieilles machines, réinvestissent des procédés aussi archaïques que la photocopie, ou donnent une seconde vie aux rétroprojecteurs.
L'une des propositions les plus fortes était celle de Cyprien Parvex de Collombey
, avec des portraits sonores de compositeurs traversant la salle comme des avions de chasse. Le plus surprenant concerne le fait d'envisager ici l'auditorium comme espace d'exposition. Par contre, peut-être dû à une formation classique au Conservatoire de Musique, on frôle parfois l'académisme dans le respect d'une séparation claire entre culture savante et culture pop (au moment où cette dernière est un sujet de réflexion fascinant, à l’exemple des recherches menées par les jeunes philosophes de Fresh Théorie). L'un de ses dispositifs, traitant de l'effacement progressif du son enregistré en temps réel, nous renvoie à l'un des axes persistants cette année: la déperdition, l'érosion des procédés technologiques. Une sorte d'archéologie contemporaine des machines de communication et reproduction, s'autorisant l'explosion au vol dans l'absurde. C'est peut-être le cas des sculptures-ordinateurs plongées dans l'eau ou le ciment (et toujours en fonctionnement) de Vivien Roubaud, qui redonnent une matérialité brute à des technologies numériques en voie accéléré de dématérialisation. Marie Colonna utilise le rétroprojecteur pour confronter l’intérieur et l’extérieur d’une sculpture-boîte à des codes couleurs identifiant les fréquences sonores, dans une installation sonore qui évoque la mise à distance du minimalisme. En parallèle, on trouve une utilisation revigorée de la photocopie avec le bon vieux format « fanzine » qui semblait avoir disparu à l’ère du blog ou myspace, à l’exemple de Aurélien Desvalogne et Margot Degert. Cette dernière envisage le dessin comme une technique virale de prolifération dans l’espace. D’autres utilisent le dessin story-board pour faire des films d’animation archaïques en stop motion, comme Justine Giliberto qui fait gonfler des cubes jusqu’à les transformer en ballons. Dans une installation étonnante, elle projette une vidéo à l’intérieur boîte blanche minimale, où d’autres boîtes blanches minimales, petites ou grosses, viennent accueillir des explosions de ballons. Au début cela n’a l’air de rien, ensuite tout y passe : préservatifs à l’hélium, peinture, mousse… Ou comment faire déborder la rigueur ascète du minimalisme dans une dramaturgie burlesque, basée sur des épisodes de répétition et accident. Salomé Bouloudnine ralenti tout effet comique dans une vidéo où les expressions d’un clown deviennent un catalogue des codes de jeu sociaux. Le morphing sert ici à faire une autopsie mélancolique. D’autres préfèrent le détournement ironique, au moment où celui-ci est en net retrait après des années de règne assuré : Samuel Trenquier transforme l’exposition en stand de vente de petits temples à la gloire de l’argent. Get rich or die trying. Les valeurs de la productivité vont jusqu’à proposer au client une culture de pommes de terre dans l’eau : la croissance accélérée au risque de la moisissure.
Dans l’ensemble, l’approche de questions politiques se trouve souvent envisagé sous l’angle de la consommation et de sa machine de guerre, la publicité. Nathalie Hugues transforme la peinture en stratégie de recouvrement : des affiches publicitaires deviennent des toiles pour des émeutes face à l’autorité d’astronautes en uniforme rouge. La peinture de Coline Casse emprunte au cinéma, à travers des diptyques qui confrontent plan frontal et vision surplombante, fonctionnant comme une table de montage. Dans l’un des tableaux, elle place le point de vue de la peinture comme on place une caméra, embarquée dans une gondole à Venise. Pour découvrir ensuite l’image romantique de cette ville envahie par une menaçante marée noire, rappelant la façon dont elle se trouve engluée dans des représentations touristiques. Dans le cas de Julia Delcambre, les corps en vitrine des panneaux publicitaires reflètent la ville et s’y reflètent, jusqu’à brouiller la frontière entre le réel et l’image : qui fantasme quoi ? est-ce que la publicité absorbe ou manipule les désirs ? Face à la surcharge urbaine de signes, Samuel Gratacap isole des personnages en attente, assez beckettiens, révélant surtout une certaine inventivité graphique.
L’un des traits communs concernant les travaux sur l’image est lié au fait d’utiliser la photo comme un outil d’analyse d’autres images. À travers une approche singulière du cadrage, Coralie Grandjean développe une réflexion conséquente sur la façon dont les projections idéalisées de la nature se trouvent projetées dans des contextes urbains, confondant paysage et décor, environnement et simulacre. Les questions inhérentes à la dialectique nature/culture semblent, décidément, immanquables, à chaque année des beaux-arts. C’est le cas cette fois-ci du travail de deux sculpteurs : la tour de Babel (ou de Tatline ?) instable, construite par le biais d’un assemblage éphémère de tasseaux de bois par Laura Cambond, ou le paysage de chaises démembrées et greffées pour redevenir des arbres, dans le cas de Stéphanie Ruiz.
Deux autres artistes mettent en place des univers plus nocturnes, se risquant dans la nuit comme un territoire déclassé, à l’abandon des règles. Dans ses photos, Sylvain Couzinet-Jacques se rapproche des personnages pour faire disparaître les contours de l’intimité dans le voyage ou la fête (1). Poussant les limites des zones d’ombre, Aurélien Lemonnier fait du cinéma un dispositif sensoriel, à travers la couleur et la texture des images, pour se confronter à la solitude et à la noirceur d’un romantisme plus sauvage.

(1) Il est par ailleurs l’un des seuls à s’être associé en collectif avec d’autres étudiants, faisant un usage d’internet plutôt rare jusqu’ici dans le contexte de l’école; à regarder sur Jack & Bill.

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